dimanche 29 septembre 2013

Tantale, suite et Faim

Tantale, suite et faim
Drame Gastronomique en vers
et contre tout


Une rue passante, la devanture d'un restaurant, le soir des poubelles.
Entre Tantale, la cinquantaine, barbe fournie, regard hagard.

Tantale :
Une petite pièce, monsieur, un billet ?
Ou un sourire peut-être ? Non ?
Et vous madame, un brin de monnaie
Un ticket-resto ? A quoi bon ?

Il faut te rendre à l’évidence
Mon vieux, t’as perdu ton accroche
C’est pas ce soir que tu feras bombance
Rien à s'mettre sous la dent,  c’est croche

Faudra t'contenter d'pissenlit
Même pas de quoi casser la dalle
Casser la dalle…
   Il rit et va pour aller fouiller dans une poubelle. La poubelle s’éloigne brusquement de lui.         Quel gâchis !
H’reusement, y m’reste mes amygdales

Quand j'ai que du vent dans mon ventre
Ma langue, faut pas qu'elle reste morte
Quand malgré tout, y a rien qui rentre
Et ben j'vais t'dire, autant qu’ça sorte

Il rit, s’assoit et se déchausse.
Mes pov' grolles, mate comment elles baillent
Faut dire qu'elles ont les crocs, mes sandales
Il faut que je les ravitaille
Vu tout le bitume qu'elles avalent

Ils me surnomment la grande Asperge
Autour d'moi, j'entends murmurer
« Il est pas sorti de l'auberge »
Pourtant moi, je veux y rentrer

Il regarde du coté du restaurant.
Parfois, j'vois des costards-cravates
Et je me rêve d'être l'un d'eux
Ah, si j'étais comme coq en pâte
J'te jure, je f'rais ni une ni deux


J'entrerais dans un resto chic
Le maître d’hôtel tombera des nues
Quand j'dirais d'un air dramatique
« Je viens faire honneur au menu »

En entrée, foie gras sur pain d’épice
Recouvert d'confiture de figues
Quelques grains d'gros sel, un délice
Salade verte bien sûr, tout pour mézigue

Pis on enchaîne sur d’la charcut’
Salami, et jambon de Parme
Coupe de champagne, un ou deux flûtes
Juste pour éviter les larmes

Puis de l'émincé de poulet
Qui s'rait arrosé de marsala
Ou encore un cochon de lait
Rôti, fourré à l'ananas

Du perdreau, du goujon, un régal
Du homard et d'la langoustine !
Faut que j'arrête, j'me fais du mal
Je n'léch'rais jamais qu'la vitrine


Oh nom de Dieu, j'ai faim

Entre Firmin. Clochard aussi. Il va fouiller la poubelle et semble ignorer Tantale.
Ah, ben ça ! Un autre humain.
Comment qu'ça va, mon frère misère ?

Firmin ne répond pas.
Toi aussi, te parler, c'est vain ?
Ça me fait chagrin, ça m'rend amer

Tu m'entends pas et ben tant pis !
Faut quand même que je te raconte
Tous les tourments d'ma chienne de vie
Tous mes regrets, mes choix, mes hontes

La solitude, c’est vraiment glacial
On se réchauffe comme on peut
Tu connais ça, toi, c'est normal
C'est ça avec les fils de peu

Moi, j'avais un cœur d'artichaut
J'dirais même qu'j'étais une vrai crème
Et l'injustice des Mecs en Haut...
Du genre à m'pousser au blasphème

Alors un jour, j'ai déconné
Et pire que tout, j'me suis fait prendre
Alors les grands m'ont condamné
Parce que je voulais pas comprendre

Et j'ai la faim qui m'tord le ventre
Si seulement c'était qu'l'estomac
Je finirais par m'y faire, mais, Diantre !
Personne à serrer dans mes bras

J'ai soif d'amour, j'ai faim d'tendresse
J'ai une fringale de printemps
J'veux qu'on me berce, j'veux qu'on m'carresse
J'ai l’appétit d'être vivant...

Il va pour s'approcher de Firmin mais Firmin se recule au fur et à mesure.
Allons mon frère, j'te dis courage.
J'vais m'en retourner traîner mes guêtres
Prends soin de toi, garde ta rage
Et comme on dit : tchao l'ancêtre

Il se rechausse, va pour sortir, s'arrête, et rit.
Ah vieux monde, tu as de l'avenir
Tu rigoles de nous voir crever 
On trimarde sévère mais le pire
C'est l'espoir qu'tu nous as enl'vé

Tu as de beaux jours devant toi
Pour nous la faire à l'envers
Moi j'peux plus rien, je reste pantois
A me faire bouffer par mes vers


Il sort. Firmin trouve une fin de plat et s'apprête à se faire un gueuleton mémorable.
Noir.

lundi 29 juillet 2013

La vida es una milonga




Jorge se regarda une dernière fois dans la glace. Les cheveux gominés, bien rejetés en arrière, qui n’avaient plus tout à fait la noirceur de sa jeunesse. Le regard franc malgré les cernes, la peau mal repassée, le nœud de cravate droit, le costume un peu défraichi, mais toujours bien cintré, les chaussures cirées, le foulard rouge en vrai Gaucho… Il était prêt.
Jorge se dirigea vers le salon, alluma la lampe sur le coin du bureau, et s’assit dans le fauteuil préhistorique et capitonné, en attendant l’heure. L’horloge ancestrale, qui trônait au milieu de la pièce affichait minuit seize. D’ici une heure, peut-être deux, elle serait là. Jorge souriait.
L’histoire aurait pu commencer dans ce faubourg de Rosario, dans une ville perdue au bord du Rio de la plata ou même ailleurs. Hier, il y a six mois ou dans cent ans, Jorge s’en moquait bien. La géographie n’avait pas beaucoup d’importance. Alors le temps… On s’en fiche du temps. Après tout, le temps se fiche bien de nous.
D’ailleurs, à ce moment-là, Jorge était redevenu gamin. Pour la première fois et comme d’habitude, il tombait amoureux de la plus valeureuse des filles de son école. Une qui n’avait pas peur de l’accompagner à la chasse aux brachiosaures, aux ptéradons ou aux terribles deinonychus qui se terraient dans les moindres recoins de la cour de récréation.
Deux aventuriers perdus dans la jungle australe, tentant de survivre à la diphtérie qui rongeait les marais. Traquer sans remords ces maudits lézards qui ne cessaient de leur échapper. Puis quand ils furent tous capturé, le vétéran Jorge offrit une place de choix à sa nouvelle associée à bord du Sanguinaire, un fantastique quatre-mâts qui sema la terreur dans toutes les caraïbes pendant une bonne dizaine d’années, au moins jusqu’à la pause gouter. Puis le capitaine Jorge prit une importante décision, sans doute l’une des plus importantes de sa courte carrière. Il promut le chef artilleur Carmen au rang de lieutenant et mécanicien d’urgence au cas où une avarie les empêcherait de traverser le pont Einstein-Rosen-Podolski. Le commandant Jorge était tombé deux ou trois fois en panne hors du continuum espace-temps et ce n’était pas beau à voir. La présence d’un second efficace le rassurait.
Jorge riait. Il les voyait courir sur le mur du salon, les dinosaures, les pirates, les astronautes, les zombies, les vampires, les chercheurs d’or et toutes ces ombres qui avaient peuplé son enfance. Ces fragments d’imaginaires coloraient le mur terne comme autant de réminiscence de jours heureux. Jorge se leva et mit un disque de Carlos Gardel. Yo no se queme han hecho tus ojos... Je ne sais pas ce que m’ont fait tes yeux… « Ils m’ont appris à voir, à voir la vérité cachée derrière les choses. Voilà ce qu’ils ont fait Carmen. »
Pero se que al dormirme una noche con tus ojos pensando soñé... Soudain, Jorge eut seize ans à nouveau. Il se rendait à une milonga au bout de la ville, pour danser le tango et le chamamé.  Certains payadors lui avaient raconté que, quand les musiciens jouaient bien, la musique se transformait en serpent et s’enroulait autour des jambes des danseurs pour les pousser à la tentation. Il avait vu Carmen à l’autre bout de la piste vêtu d’une robe fourreau et d’un châle  rouge, frêle rempart contre la fraîcheur de la nuit et la chaleur des regards. Ils s’étaient approchés l’un de l’autre puis ils se mirent en position pour danser. Abrazo. Jorge dansait avec Carmen, petit chaperon rouge perdu dans la ville, bien loin de sa grand-mère, de son père, de sa mère. Bien loin de l’horloge familiale qui sonnait à présent une heure passée.
Jorge regarda par la fenêtre du salon. « Ce soir, c’est la pleine lune. Les loups-garous sont de sorties. Ne t’inquiète pas ma belle, ne t’inquiète pas. On aurait dit que je te protègerais comme tu m’as protégé si souvent. Comme quand tu as mis en fuite ses bolludos de rastreador qui étaient parties à ta poursuite et qui m’avaient coincé à la sortie de Venato Tuerto. J’en garde encore les cicatrices. »
Jorge esquissa un pas de tango et écouta le tic-tac paisible de l’horloge. Bientôt deux heures. Bientôt vingt ans. Bientôt la fuite, et la violence de la vie qui les rattrape. Bientôt la Patagonie. Puis la maladie et le temps qui commence à manquer. « Ma belle, le temps ne nous manquera pas, on inventera celui dont on aura besoin et puis voilà. »
Petit à petit, le tic-tac se fit moins régulier, un peu plus enlevé. Le lourd balancier commençait à suivre langoureusement les pas de Jorge qui à présent dansait. Juste pour l’échauffement.
Puis silence.
Alors Jorge se plaça à une extrémité de la pièce et tendit sa main en direction de l’horloge. Le mécanisme se figea. La porte de l’horloge s’ouvrit et Jorge vit apparaitre une jambe puis une taille, tout un corps, puis un visage. Et quel visage ! « Non, pas apparaître, émerger plutôt. Ceux qui s’imaginent que les fantômes apparaissent car ils ne sont que des ombres ou des ectoplasmes translucides se trompent évidemment. D’ailleurs ceux qui n’y croient pas se trompent aussi. Il y a des histoires qui sont trop belles pour ne pas exister. Les fantômes existent, ils sont simplement plongés dans certains plis de la réalité qu’on ne voit pas. Il faut juste savoir les faire sortir ». Carmen émergea donc dans la réalité de Jorge. Elle fit un pas, puis un deuxième avant de perdre l’équilibre et de tomber la tête en avant sur le tapis du salon.
Jorge éclata de rire et se précipita vers elle pour l’aider à se relever. « Ben, alors, ma vieille, ma belle, mon amour, tu ne sais plus marcher ? Comment va-t-on danser alors ? » Carmen se releva avec le plus de dignité possible. « J’aimerais t’y voir. Ce n’est pas ma faute si la réalité est particulièrement instable ».
Jorge regarda Carmen avec douceur. Carmen, ce chant d’amour qui n’avait plus jamais quitté ses lèvres depuis leur premier tango sous les yeux médusés des balconeadores. Carmen, cette mélodie joyeuse, cet hymne à la passion. Carmen qui mourut un soir de février malgré les remèdes d’un indien Mapuche qui avait bien voulu les recueillir. Carmen qui voulait lui apprendre coute que coute la concordance des temps pour qu’il ne se fasse pas gronder par la maitresse.
« Il nous reste tant de temps à inventer, Carmen. Tant de modes aussi. Utiliser enfin ces déclinaisons qui nous ont tant manqués. Le présent perfectible, le passé ultérieur, le passé pas si simple, le plus que présent, le passé décomposé, et l’un peu plus de parfait, dans l’espoir que les tristesses d’autrefois fassent les joies d’aujourd’hui. Et aussi le pire-que-passé, l'imparfait du plus-que-parfait et son contraire, et surtout, surtout le futur inconditionnel et l’indéfinitif. 
Mais tu sais, Carmen, le seul que je veux vraiment conjuguer sous toutes ces formes, c’est le temps qu’ils nous restent à vivre. »


 La vida es una milonga…

mercredi 19 juin 2013

Ressurection apocryphe


Lazare, gisant dans son tombeau
Trois coups

JÉSUS (OFF) : Lazare, debout. Le monde frappe à ta porte.
LAZARE : Oh, 5 minutes, j’ai encore sommeil.

Silence. Trois coups à nouveau

JÉSUS (OFF) : Lazare, t’as entendu ce que je t’ai dit. Debout, voyons. Le monde t’attend.
LAZARE : dis-lui que je suis pas là, que je suis malade, que je suis désolé, mais que là, ça va pas être possible.
JESUS (OFF) : Allons Lazare, ne fais pas l’enfant. Lève-toi, voyons !
LAZARE : s’agite dans son lit Non, mais c’est pas vrai à la fin, On peut plus reposer en paix sans qu’un crétin, vienne vous ressusciter pour épater les foules. T’es bien gentil, Jésus, mais c’est pas parce que t’es le fils du propriétaire que tu peux tout te permettre.
JÉSUS (OFF) : Bon, Lazare, ça suffit maintenant, lève-toi et plus vite que ça. Sors de ton tombeau qu’on crie « Alléluia »
LAZARE : Et puis quoi encore. Tu veux pas aller trouver un autre guignol à ressusciter. Tiens, si je me souviens bien, David de Bethléem, est mort un peu avant moi. Lui, ça lui plaira surement qu’on vienne le ressusciter, il a toujours aimé être exposé à la foule, ce tombeur.
JÉSUS : Entrant dans le tombeau Ah merde, David est mort
LAZARE : Je crois qu’il s’est fait renverser par un chariot en revenant de Jérusalem. Il venait de fêter ses 33 ans
JÉSUS Putain, c’est jeune quand même
LAZARE Oui, on est peu de chose…
Silence
JÉSUS Bon, on fait quoi là, maintenant ? J’ai une foule dehors, qui attend un miracle. Et toi, tu rechignes. Tu ne voudrais pas faire un effort ? Pour moi ?
LAZARE Laisse tomber, Jésus. Et c’est pas la peine de dire que ça ferait plaisir à Marthe et à Marie, je culpabilise assez comme ça.
JESUS Mais je comprends pas pourquoi tu ne veux pas ressusciter.
LAZARE Ca fait trop mal
JÉSUS Elle est pas belle la vie ?
LAZARE C’est pas ça. Je veux dire, oui c’est sûr, ça me ferait plaisir de refaire le con avec les copains, de revoir la Galilée, et de boire un coup avec toi la prochaine fois que tu changeras l’eau en vin.
JESUS Ben alors, sors avec moi
LAZARE Je suis bien ici, c’est calme. Certes, je ne fais pas grand-chose, n’empêche, c’est reposant. Pis surtout, je suis pas obligé de me coltiner les hommes toutes la journée
JÉSUS : Allons Lazare, ne parle pas comme ça, tu sais bien qu’il faut s’aimer les uns les autres. Nous sommes tous enfants de Dieu, et papa est amour.
LAZARE : Parlons en tiens, de Papa est amour. Ah il a dû drôlement les aimés, ses enfant de Sodome et Gomorrhe avant de les carboniser avec le feu du ciel.
JÉSUS : Un père est bien obligé d’apprendre à ses enfants à bien se comporter
LAZARE : Ben permets moi de penser que le déluge, c’est quand même une drôle de méthode d’éducation .Tu trouves ça normal toi, pour un père qui dit aimer ses enfants, qu’il y est  tant d’injustice, tant de misère et de violence. Il aime tous les hommes peut-être, mais il a quand même ses préférés.
JÉSUS : Il a laissé à l’homme le libre arbitre, comme preuve de son amour.
LAZARE : Aux chiottes, le libre arbitre. Tu peux m’expliquer de quoi on est libre exactement. De choisir dans quel travail on va aller se faire exploiter ? Dans quel taudis on va aller vivre ? Aux caprices de quel roi nous allons nous soumettre ? Au bord de quel cœur, on va aller s’humilier ? À quel arbre nous allons nous pendre ?
JÉSUS : T’exagères.
LAZARE : Bien sûr que j’exagère. Mais Jésus, tu ne gagneras pas. Hier tu as chassé les marchands du temple, aujourd’hui ils sont deux fois plus nombreux. La lapidation continue et ils sont nombreux à vouloir te jeter la première pierre. Et après tu ne comprends pas pourquoi je ne veux pas sortir. Moi je ne comprends pas pourquoi tu ne veux pas rester.
JÉSUS : Parce que je le dois. Entre nous, ce boulot de messie, c’est pas une sinécure. Tout un tas de cons, qui comprennent mes paroles à l’envers. Je leur dis « exploiter vos talents » et ils pensent qu’il s’agit de la monnaie…
LAZARE Tu vois, Jésus, entre nous les hommes sont finis. Reste là, reste avec moi. On est bien tous les deux.  Et Puis on va pouvoir dormir…enfin dormir…
Lazare s’endort .Silence
JÉSUS : Mais qu’est-ce que je vais dire à mon père ?
Noir

vendredi 31 mai 2013

Libration

Une première tentative d'un récit Sf. N'hésitez pas à me dire ce qui cloche
 
Libration

Les plus belles histoires commencent par un naufrage. Une idée de Jack London. Un sacré gars Jack London. Un mec qui, s’il avait pu, aurait trainé ses guêtres dans cette mer-là. Et puis, il avait carrément raison. C’est en tout cas ce que se disait le lieutenant Jude à la poupe de La Matilda qui filait à pleine vitesse. Finalement, c’est une histoire de naufrage. Oui, c’est ça, une putain d'histoire de naufrage. Est-ce que London aurait été d’accord ? Jude n’en savait rien. Mais il savait que naufragé, ça lui plaisait bien. D’ailleurs c’est ce qu’ils étaient, des naufragés. Enfin sans doute d’un genre particulier.
Les pensées de Jude se laissaient aller au rythme tranquille du Deep River’ Blues qui se mêlait au ronronnement rassurant de La Matilda.  La nuit était belle. Il y a des vies qui sont comme des points de suspension. Pleine de promesses et de mystère qu’un auteur paresseux aura jetés dans le creux d’un espoir.

— Arrêt dans cinq cents mètres, tu prépares l’angle d’arrêt pour pas qu’on perde l’équilibre
— Mais pourquoi ?
— Régolithe…

Putain d’étoiles de mer. Carnivore ces machins-là. Quand ça s’insinue sous votre combinaison, pas moyen de s’en débarrasser, et ça vous ronge la peau jusqu’à l’os. Le plus souvent c’était supportable, mais certains nuages étaient si denses qu’ils devaient s’arrêter au plus vite afin de recalculer leur itinéraire pour éviter la tempête. Jude n’aimait pas s’arrêter, surtout que lignin’s boogie.était en train de commencer. Mais il n’aimait pas non plus être recouvert de régolithe. Il connaissait son boulot. À contrecœur, il se mit en position pour freiner et se colla au plus près du capitaine. Putain d’étoiles de mer.

Une fois La Matilda amarrée, le capitaine Sélène mit pied à terre et retira son casque. Elle s’éloigna du vaisseau pour mieux apprécier l’ampleur du danger.

— Jude, on est où exactement
— 38.7 Sud : 93.2 Est . En pleine mer Australe, cap’Taine
— Arrête de m’appeler capitaine. Tu sais que tu peux m’appeler Sélène.
— O.K. Cap ‘Taine Sélène
— Qu’est-ce que tu peux être con des fois !
— Désolé Cap ‘Taine Sélène.
— Bon, on recalcule l’itinéraire. Gauche ou droite ?

L’avantage quand on ne sait pas où on veut aller, c’est qu’on peut passer n’importe où. À Jude, ça lui était égal. Après tout, un air de ragtime au fond de la tête, quelques remords écrasés sur le bastingage, une belle respiration à prendre avant la marée et la permission de pousser un peu le son de la radio pour les rediff’ de Prairie Home Compagnion et autre Oldies goldies sur canal trente, il n’en lui en fallait pas beaucoup plus.

— Gauche, cap’Taine Sélène
— Bon on fait encore cinq à six cents kilomètre et tout à l’heure, on bivouaquera au pied de Mons Essam. 
— T’en as encore la force, ou tu veux qu’on tourne ?
— On verra ça à la prochaine étape, mais pour le moment ça va.

Quatorze mois qu’ils erraient à présent. Et la Mathilde tenait toujours le coup. Bien sûr, les rétropropulseurs commençaient à donner de la gîte sur Tribord, mais c’était juste une question d’équilibre. Et à ce niveau-là, Sélène et Jude constituait une équipe assez parfaite. Jude pensait souvent à sa vie d’avant. D’avant  la catastrophe. D'avant Sélène et la Mathilde. Aucun regret. Ma garce de vie s'est mise à danser devant mes yeux, et j'ai compris que quoi qu'on fasse, au fond, on perd son temps, alors autant choisir la folie. C’est Jack Kerouac qui disait ça. Un sacré mec, Kerouac aussi. T’as raison, mec, se disait Jude, t’as raison, la route, c’est la vie.

Ils s’arrêtèrent à environ quatre-vingts kilomètres de l’entrée du col et décidèrent d’y passer la nuit. Décharger les tentes de la soute de La Matilda. Faire un semblant de repas avec les restes de concentré de protéines qu’ils avaient chopé dans les carcasses des vaisseaux qui avaient échoué là depuis longtemps. Veiller. L’un près de l’autre, en silence enroulés dans des couvertures de survie. Jusqu’à ce que le sommeil se fasse tant désirer qu’il en devienne inéluctable.

Au réveil, Canal trente diffusait King of the road de Roger Miller. Moi, non plus Roger, je n’ai pas de téléphone, pas d’animaux, ni même de cigarettes, mais définitivement, je suis le roi de la route.

 — Merde, Jude, tu fais chier. Tu pourras baisser un peu le son. Je suis encore en train de dormir.
— Cap’Taine, faut qu’on en profite, on s’est pas jusqu’à quand Canal trente va continuer à diffuser. Faut faire des provisions de son pour la route au cas la batterie de leur radio lâche. Comme ça, je pourrais toujours continuer à les chanter.
— Ce n’est pas prêt d’arriver. Ces machins-là, ils ont une durée de vie d’au moins trois cents ans.
— C’est ce que je me disais pour Canal douze, mais un astéroïde a percuté le système auxiliaire qui faisait fonctionner le vaisseau, et depuis on ne capte plus rien. Allons, grogne pas Capitaine, on a de la route à faire

Jude aimait beaucoup le capitaine. Et il savait que c’était réciproque. Ça tombait plutôt pas mal. Quand tu sais que t’es les derniers représentants de l’humanité, peut-être même de toutes formes de vie dans l’univers, t’as pas intérêt à te prendre la tête avec l’autre. La solitude, ça s’affronte quand même mieux à deux.
Sélène se releva avec peine. Elle sentait que jour après jour, la route la vieillissait prématurément. Ses membres devenaient de plus en plus lourds. Le régolithe surement. À la vitesse à laquelle roulait la Matilda, ces satanées poussières devaient heurter leur combinaison, se glisser sous leur peau, s’accrocher définitivement à leur os les rendant ainsi plus lourd et plus poreux. Comment disait Jude ? Ah oui étoiles de mer. Putain d’étoile de mer même. Il avait trouvé ça un jour. Après tout, c’était ça, des poussières d’étoiles dans des mers sans eaux. Qui allait finir par avoir notre peau cap’Taine, disait-il en riant. Des putains d’étoiles de mer carnivores. Ils en riaient. Comme des gosses inconscients du danger. Ben quoi, il faut rire, non ? Parfois le soir, ils en parlaient un peu. D’avant l’exode. D’avant la route, d’avant tout ça. Aucun des deux n’avait le moindre regret. 

— Bon, Jude, on s’arrache
— Oui cap’Taine
— Tu prends le premier quart à la proue. Si tu vois des tornades, tu ne fais pas le mariole et t’arrêtes tout.
— Compris Cap’Taine

Jude était sûrement un bon compagnon, mais en termes de conduite elle lui faisait assez peu confiance. Il n’avait pas les réflexes. Dans sa tête, il y avait tout un tas de mots et de notes qui s’emmêlait. Comment tu veux rester concentré dans des conditions comme ça. C’est pour ça qu’elle était capitaine et lui lieutenant.

— Allez, on the road again cap’taine. Youhou !!!

Vers treize heures, ils firent une pause en haut du col Dorsale Scilla . Manger un bout. Souffler. Admirer le spectacle incroyable du lever de soleil. Y a des silences qui pèsent bien plus de mille mots.
C’est sur la descente que ça devint plus dur. Putain Jude, fais gaffe. La Matilda tangue dangereusement, tu ne le sens pas. Ce n’est pas une mobylette. Faut que t’en prennes soin. Je n’ai pas peur de me viander, mais si la Mathilde tombe en rade, comment on va faire pour continuer à la faire valser ? Comment on va faire, pour voir l’autre versant et la mer des désirs qui n’en est même pas une ? 
Jude sentit le capitaine se crisper dans son dos. Ils formaient un beau bloc. Il sentait la Mathilda virer doucement sur Tribord. Pas de problème cap’Taine, je gère. Il riait dans son casque. Profite cap’Taine. Profite. Et admire l’artiste.

— Putain, Jude ne me refait plus jamais ça
— Excuse-moi, cap’Taine !

Sélène s’approcha du vaisseau pour vérification. Le vaisseau. Encore une invention de Jude. Ben quoi, c’est bien fait pour naviguer sur des mers, qu’il disait, c’est notre passeport pour la liberté, non ?  En fait de vaisseau, la Mathilde était un petit bijou de technologie, un véhicule lunaire sur deux roues, qui fonctionnait à la fusion nucléaire, et qui sous certains aspects pouvait rappeler les choppers d’autrefois. Le designer avait dû être un fan d’Easy Riders, peut-être même un bikers, lui aussi.

Quand on se rendit compte que la terre allait définitivement devenir invivable, on avait envoyé des centaines de vaisseaux, remplis d’ingénieur, de médecin, de scientifique et d’astronautes pour qu’ils aillent construire une atmosphère artificielle sur la lune. Et contrairement à ce que beaucoup pensaient, ils avaient réussi. L’installation était complexe, Sélène ne se rappelait plus vraiment comment elle fonctionnait. Mais l’humanité allait être sauvée. On déclencha l’exode. Et personne ne prit garde dans l’euphorie du moment, que la gravité de la lune avait changé et que quelques centaines de milliers de vaisseaux se ruant sur la lune, avec chacune en son sein un moteur fortement magnétique, ça ne créerait rien de bon.
Ce fut une catastrophe sans nom. Navette après navette, toutes vinrent se crasher sur la lune les unes après les autres. Sans espoir de survivant. Des quinze qui étaient déjà sur la lune, dans la base spatiale nouvellement construite. Il n’en resta plus que trois. Sélène, Jude et un russe nommé Victor qui mourut le premier, rongé par le régolithe. Sélène avait sorti La Matilde du garage et avait invité Jude à tracer la route. Pour aller derrière, sur l’autre versant, sur la face cachée de la lune. Marcher un peu du côté sombre, pour une fois, ça lui faisait envie.

— Bon, ça va, le moteur va bien. Cette fois-ci, c’est moi qui conduis. Allez en route
— Oui, cap’Taine
— Et arrête de m’appeler cap’Taine
— Oui, Sélène.

Devant eux une route immense à découvrir. Et quand bien même, ils n’arriveraient pas au bout, l’important, ce n’est pas l’atterrissage, c’est la chute. L’important, ce n’est pas destination. C’est le voyage. L’important c’est d’être là, tous les deux, se disait Jude. Il pensait à Jacques Brel. Un sacré type aussi. Il y a des gens qui ont le cœur si vaste qu'ils sont toujours en voyages, voilà ce qu’il disait le grand Jacques. C’est ça, pensa Jude, perpétuels voyageurs, vagabond de l’infinie, clochard céleste. Paraitrais que les gens heureux n’ont pas d’histoires. Ça lui allait à Jude de ne pas avoir d’histoire. De n’avoir qu’un horizon pour tout avenir.

La Mathilda filait dans la nuit. Jude s’accrochait fort à Sélène, ils ne formaient qu’un seul corps. Ces pensées rebondissaient dans tous les sens au rythme de  Born to be Wild.  Les plus belles histoires commencent par un naufrage. Une idée de Jack London. Un sacré gars Jack London. Finalement, c’est une histoire de naufrage.
Oui, c’est ça.

Un putain de naufrage.

mercredi 29 mai 2013

De la natation paresseuse...

Mon pote Gaby, il dit des fois « La vie est un long fleuve tranquille, mais encore faut-il savoir nager ». Longtemps j'ai eu un peu du mal avec cette image, je veux dire, l'eau comme concept ça ne me parlait pas trop. Et Ben depuis que Gaby m'a apprit à nager dans le flot de ces paroles, je n’échangerais ça pour rien au monde. Comme il dit souvent :« Quantité de personnes ont une âme qui adore nager. Dommage, on les appelle vulgairement des paresseux ».
Enfin, moi je ne me baignerais pas dans n'importe quels discours quand même. Y a des risques. J'ai connu un homme politique, il s'est retrouvé enfermé dans une parenthèse qu'il avait ouverte et qu’il avait oublié de refermer. Et au bistrot, l'autre jour, il y a un militaire qui s'est noyé dans un Verdun. Alors je me méfie toujours un peu. Y n’a pas de paroles sans risque. Comme dit Gaby : « les mots en l'air finissent toujours par retomber ». Je ne goute pas de tous les mots. Il y a des mots salés sucrés, aigres ou amers. Des mots doux, des mots durs. Des mots crus ou cuits. Les mots on les mâche, les avale, les crache ou les digère.
Mais les paroles de Gaby, je les bois littéralement. J'aime nos conversations, qui poussent doucement à la rêverie, sans y chercher trop de cohérence. Car comme il dit toujours. « Aimer c'est un verbe irréfléchi ». Et quand la soirée s'achève, la tête un peu lourde du vin, de la bière et des phrases échangées, on fume une dernière sèche devant le bistrot. Quand on a terminé, le patron vient jeter un dernier coup devant, pour nettoyer. Gaby m'arrache toujours un dernier sourire en constatant gravement : « Seau d'eau, mégot mort ».
Il est comme ça Gaby, il aime jouer avec les mots. Pour être honnête, ça m’amuse aussi beaucoup. Parfois, on fait des calembours tellement navrants que les gens lèvent les yeux au ciel. Mais comme il leur dit si bien « Inutile de regarder en l’air, y a pas un bistro dans cette direction. »
Faut dire que c’est un plaisir, trousser la langue, qu’elle rougisse et se verdisse, qu’on s’amuse à empiler des syllabes et faire tenir ce fragile équilibre au moment d’une pirouette verbale périlleuse, jouer avec les mots et répéter chaque jour : « je ne serais plus jamais aussi jeune qu’aujourd’hui. »
Mêler cette langue avec d’autres par gout du jeu, la rendre interlope. L’autre jour au bistrot y a un tchèque sans provision qui a débarqué. Alors Gaby lui a payé un coup. L’autre voulait le rembourser, mais bon comme dit Gaby « A Vienne que pourras ».
Du coup à force de nager, de gouter et d’entendre tous ces jeux de mots laids, j’ai eu envie d’écrire moi aussi. Même si en ce moment, j’ai la muse paresseuse. Pourtant, j’ai joué de l’encrier sur ma page écrue, j’ai écrit et j’ai crié pour qu’elle revienne, mais elle fait la sourde oreille, je crois.
Ce n’est pas grave, je continue quand même.
Par désir de ma muse qui s’amuse de mes discours maladroits, de mes dithyrambes infâmes, de ma logorrhée insoutenable. J’écris pour elle, car me prenant pour Dieu, à chaque jour recommencé, j’écris le monde à son image.

mercredi 15 mai 2013

Des goûts du travail...

Toi qui me lis, je souhaite ce soir utiliser cette tribune numérique afin de pousser un cri triomphant pour manifester la joie qui m’étreint fougueusement, comme Lenny étreignait son lapin, mais non, allons, fais, pas ces yeux-là c’est une référence à Des souris et des Hommes de Steinbeck, qui traite justement de ce sujet qui me rends tellement heureux et dont je vais t’entreprendre si tu cesser de m’interrompre grossièrement
Youhouououohuou donc
Ca y es je suis le 3 220 601e chômeur de France, depuis vendredi. Depuis le temps que j’attendais ça. Et j’en remercie grandement Jean François Copé et Laurence Parisot qui m’ont grandement aidé à faire ce choix. Ils n’arrêtaient pas de dire qu’il fallait libérer le travail. Ben maintenant, c’est bon, tu peux y aller Jean François, ma place est libre.
Ô je sais ce que tu vas me dire, que je devrais avoir honte de tenir un pareil discours à l’heure de la crise et de l’austérité. Mais que veux-tu, déjà tout petit, je n’aimais pas me lever le matin pour aller à l’école, je voulais faire comme la rivière, suivre mon cours sans quitter mon lit. Alors honnêtement, aujourd’hui, je me sens franchement plus libre. Tu vas me dire à nouveau que c’est scandaleux que je me permette de dire ça alors que le chômage en France ait battu le record de 1997, que ce soit pareil en Italie, en Espagne ou en Grèce. Qu’il faut faire des sacrifices, produire et consommer pour redonner à la France ce teint juvénile et la fraiche innocente du temps de sa trentaine glorieuse et rayonnante ! Ben moi, je ne suis pas sûr que ça en vaille la peine. D’abord parce que comme dit Boris Vian, le travail c’est l’opium du peuple, et je ne tiens pas à faire une overdose. Et franchement, les trente glorieuses, c’est aussi le développement d’une idée de la société et du bonheur par capitalisation qui mérite aujourd’hui d’être abandonnée.
Nos patrons, nos dirigeants nous répètent tellement à longueur de temps qu’il faut reprendre goût au travail et à l’effort, que tout un chacun s’empoisonne la vie avec ça, cherche à devenir le plus productif, le plus compétitif sans ce demander à un seul instant si c’est bien utile ce qu’on fait. Si j'étais médecin, je prescrirais des vacances à tous les patients qui considèrent que leur travail est important pour prévenir les risques de dépression nerveuse. Forcément y a de la souffrance qui apparait. Et le pauvre gars qu’on licencie parce qu’on a trouvé un autre pauvre type ailleurs qui veut bien faire le même boulot pour six fois moins, lui il est triste en pleurs, perdus, qu’on lui ait piqué son outil de travail qu’était toute sa vie. C’est absurde.
Absurde qu’un chômeur se retrouve dans un tel état de désespoir qu’il se retrouve à s’immoler
Absurde qu’on embauche des secrétaires trilingues, pour lécher des timbres avec une seule langue.
Absurde que près de la moitié de ce qu'on produit est destiné à devenir immédiatement déchet pour le plaisir d’un bel emballage.
Et si pour avoir le sens des affaires faut perdre le sens de l’humour, alors non-merci. Moi, je n’en veux pas, je vous le laisse. Ô, mais ça ne veut pas dire que je vais ne rien faire. Au contraire, à moi le bénévolat, l’engagement citoyen, les activités si nécessaire comblées par les associations, car les marchands n’ont pas trouvé ça très rentable. Le problème c’est que prendre soin, prendre le temps de s’intéresser à l’autre, réfléchir, rêver, créer, ça n’a pas de prix. Eux et moi, on est quand même d’accord sur une chose, c’est que le temps c’est de l’argent. Et depuis que je suis chômeur, je me sens honteusement riche.
Les Espagnoles eux, ils ont su profité de leurs chômages de masse pour aller investir les rues et reconstruire un mouvement social solidaire sans leader. Ils fêtent même leur deux ans demain, c’est-à-dire aujourd’hui (car je sais que vous lirez ma chronique aujourd’hui, mais comme je l'ai écrite la veille, pour moi, aujourd’hui c’est demain, et pour vous, aujourd'hui, pour moi c’est hier, c’est clair non ?).
Alors, Travailleur de tous les pays, licenciez-vous. Quittez vos jobs, laissez tout en plan. Cessez de croire que le travail, que le fait de produire peut vous enrichir, depuis le temps ça se saurait. Arrêter de les écouter quand il vous explique que vous absolument besoin de ceci, ou de cela et même plutôt des deux pour être heureux. C’est simple au fond : Plus y a de pauvres moins il y a de riche, moins il ya de riches moins il ya de pauvres, donc plus il y a de pauvres moins il y a de pauvres.
On arrête de perdre notre énergie dans des choses trop sérieuses comme le chômage ou la dette et on s’intéresse à des choses futiles comme la vie, l’amour, le respect de la nature, la solidarité. Et eux en haut de leur tour d’ivoire auront beau nous expliquer qu’il faut produire, consommez, épargner, obéir, on se reconstruira notre petit monde tout en bas et pis on les invitera pas. On ne leur répondra pas. À leurs paroles d’argent, on opposera notre silence d'or. Un énorme ronflement. La lutte en dormant.
Bon, je m’enflamme, je l’avoue, mais que veux-tu l’émotion. Faut pardonner mes prises de position facile et mes blagues pas drôles, mais faut dire aussi que je suis un marxiste tendance Groucho.
Tu sais ce que j’ai fait le premier jour de mon heureux chômage ? J’ai mis mon réveil à 5h30 pour le plaisir de me rendormir. Et juste avant de me plonger dans mes songes, j’ai eu une pensée émue pour la France qui se lève tôt. Les boulangers, les éboueurs, les infirmières, les auxiliaires de vie, les c’eusses qui vont bosser à l’usine et surtout ce qui affiche des publicités hautes en couleur qui leur font espérer des lendemains qui chante. Mais, afficheur, si tu veux chanter vas-y, maintenant. Comme je disais tout à l’heure : demain, c’est aujourd’hui. Ton avenir, il a été déjà été racheté avec ton salaire ton loyer, ton épargne. Y a plus de Futurs, alors fait ce qui te chante maintenant.
Comme dit Gaby : « L’avenir appartient à ceux dont les ouvriers se lèvent tôt." *
Ceux qui se lèvent tôt n’ont plus que leur présent.
Ceux qui se lèvent tôt il n’ont la peur qui grandit quand il se rapproche du taf.
Ceux qui se lèvent tôt, ils ont la rage au ventre, mais la résignation leur fait courber l’échine. Et ils se lèvent quand même sous le braillement de la radio, sous le flot ininterrompu des paroles creuses, des discours en bois qui donnent la furieuse envie de fabriquer du silence à coup de poing. Et jour après jour, ils y vont quand même.
 
En espérant que ceux qui se couchent tard racontent leurs histoires. **

* Phrase amicalement prété par Aiphix le chroniqueur Haineux
http://lahaineaveuglenestpassourde.blogspot.fr/
** Phrase amicalement prété par Ben.G
http://desparolesalapelle.wordpress.com/ 


jeudi 9 mai 2013

Crépuscule d'une promesse ou Variation sur la sonate à Kreutzer


Le premier mouvement est introduit adagio dans le ton de la majeur par le violon. Après l'entrée du piano et un passage en mineur débute un presto véhément, charpente de ce mouvement qui se termine sur une coda énergique après un bref rappel du thème de l'adagio. Le contraste est saisissant avec la douceur du second mouvement, superbes et amples variations dans le ton de fa majeur.Le calme est soudain rompu par l'entrée du troisième mouvement, morceau virtuose et exubérant qui s'achève dans une course effrénée, comme par épuisement des deux instruments.
Voilà, c'est ça que j'ai joué toute ma vie. Ça la résumerait parfaitement. Mais les mots sont inaptes et aujourd'hui, ma musique aussi. Foutu violon.

— Bon, j'espère que tu vas t'y plaire. Certes c'est moins grand que ton ancien chez toi, mais c'est quand même plus ensoleillé. Et pour être honnête, je trouve le voisinage plus sympathique. Allons, ne fait pas la tête. Je suis sûr que tu vas t'y plaire. C'est juste une question d’habitude, mais tu as tout le temps devant toi, huhu. Et puis tu es plus près de chez moi. Je pourrais te rendre visite plus souvent. Alors qu'est-ce que tu en dis ?


Quand je suis rentrée, la porte était encore ouverte. J'ai jeté mes clefs sur la desserte, elles ont rebondi et c'est l'écho de ce bruit sec qui m'a fait réagir.
— Maman ?
Silence. Il est midi et demi, elle devrait être là. Elle devrait être là à jouer encore et encore la sonate à Kreutzer pour violon sans piano. Où est-ce qu'elle a encore pu aller, cette fois ?


— Yvan, je dois te dire quelque chose. Si j'ai demandé à ce que tu déménages, c'est pour te présenter quelqu'un. C'est ton voisin. Il s'appelle Benjamin. J'espère que vous allez vous entendre. Et puis, je me dis qu'il est temps que tu le connaisses. Voilà. Benjamin, voici Yvan. Yvan, voilà Benjamin. Je sais, Benjamin, je sais, ça fait longtemps, trop longtemps, mais ça me faisait trop mal de venir. Pardon. Mais il y a quelque chose que je dois vous dire à tous les deux.


J'ai fait le tour de tous les endroits habituels. J'ai l'habitude de sillonner la ville, je la retrouve toujours rapidement, mais là, je ne vois pas. Elle n'était pas chez le fleuriste, le chauffeur du 23 ne l'a pas vu, elle n'est donc pas allée aux chrysanthèmes. Diane non plus ne sait pas où elle est. Chez Francis, peut-être. C'est un peu tôt pour le calva/mots fléché du mercredi. À moins qu'elle ne fête un anniversaire, comme ça lui arrive parfois. Mais lequel, bordel,lequel ?


— Vous connaissez la date d'aujourd'hui ? Oui, c'est ça, le 13 avril. Je ne sais pas si tu t'en souviens Benjamin, mais aujourd'hui, c'est un jour très important. Yvan, maintenant, je peux te dire certaines choses. Il y a quarante-six ans, Benjamin et moi, on s'est très bien connu. Et comment dire, nous nous sommes beaucoup aimés... Ne rougis pas Benjamin ou je ne vais pas y arriver. Je m'en rappelle très bien, c'était un mercredi aussi. Son père l'avait foutu dehors parce qu'il ne voulait pas reprendre l'entreprise familiale. Il était venu me retrouver. Moi je ne pouvais pas l’accueillir chez nous – tu connais grand-père, ça aurait été terrible si j'avais voulu l'héberger.–  Bref, j'ai fait le mur, je l'ai retrouvé et on a erré dans la ville.


Diane m'a aidé. Elle s'en est souvenue, heureusement. Je ne sais pas ce que j’aurai fait sans elle. Elle a tellement aidé maman. Faudrait vraiment que je songe à la remercier. Faut que je trouve un truc à lui offrir. Faut surtout que je me dépêche, j'embauche dans trois heures. Maman, maman, tu ne pourrais pas être raisonnable, pour une fois ? Non, je sais que non. C'est bien pour ça que je t'aime.


— On ne savait pas où aller. Deux jeunes, sans le sou, où tu voulais qu'on aille ? Ici, ça nous a semblé tranquille. À l'abri. Personne n'aurait songé à venir nous chercher ici. Certes c'est un cadre un peu étrange au début, mais on s'est habitué. Enfin, c'est surtout que très vite, je m'en foutais complètement. Y avait tes yeux, Benjamin, qui m'ont si bien appelé. Je pense que de mon côté, tu n'étais pas en reste.
Je me rappelle comme on était maladroit. Notre première fois. On s'est découverts l'un l'autre. Nos chansons réciproques. Le tempo s'est trouvé bien vite. Prélude à la mélodie du bonheur. Concerto en turlute majeur haha. Pizzicatti , partout. Forte Vivace, puis adagio, pianissimo ostinato ahaha. Faut dire quand même dire Benjamin, qu'en ce temps-là, tu étais un sacré soliste. Je me souviens de ce concert, comme si c'était hier. Je peux même te la chanter, la partition de ce soir-là.
D'abord caresse approximative. Puis frottement hésitant ; bisous baveux, baiser à pleine dent, bruits, de, succion, asp,iration ne,rv,e,u,se, .. ;;. Co.rp ;s léché goût d 'am end e : respirat:tion,,r »épet_i_on,repris!e!OOOOO coda ehhhhmurmuréssoufflé, ;, ?;casende :. :.:;:euhca...cadence/rythme/tempo/pulsation : c'estbon,c'estbon,c'est,;:;c ;:';e,;:t, ;;, :!, ;!, !


Quand j'arrive, j'entends de suite. Ça résonne de partout. Merde Maman, ne me dis pas que c'est toi ? Si, c'est toi, bien sûr, y a que toi pour atteindre le contre-ut si parfaitement.


— < Ma verge, mon sang, sexe tendu, unions des deux corps, et quoi ? Tu fais dans la poésie ? Mais ma vieille, faut bien appeler une chatte une chatte. Quoi ? Ces mots, tu les as goûtés aussi bien que moi. Ton abricot, ta fleur fendue, ta maison du bonheur... mon mat de cocagne, mon bâton de pèlerin, mon âne aux deux oreilles mange, respire, pénètre sur ton invitation, l'offrande que j'arrache à tes lèvres, le son qui bourdonne à mes oreilles, la pluie qui nous consume. On peut le dire, c'était une sacrée nuit. À déranger les anges, j'en vois un qu'a encore l'auréole de travers depuis ce temps-là. Une nuit à inverser le cours des planètes... Quel qu'en soit son sens >
— < J'ai le désir de vivre, vos cris m'interpellent, je file, je file droit sans regarder autour de moi, je vous vois tout les deux en extase, au milieu de vos ébats, pupille dilatée à l'extrême. Eh maman, c'est plus de l'amour, c'est de l'orage ! Qui est en train de tomber violent. Je crois bien que ces nuages noirs au-dessus de vous, je ne m'en suis jamais bien remis. Mais j'ai coulé, je me suis fondu en toi. Patienter au chaud pendant que vous finissiez. Bien sûr tension avant le final... Et relâchement... Applaudissement du public. Je suis désolé, une si belle entrée en scène pour un final inacceptable.>


Et merde ! Elle est en transe, partie, inaccessible. Maman, merde, enfin. Je cours vers elle. Faudrait pas que quelqu'un la voie.


— Le lendemain, Yvan, tu existais. Oh t'étais encore pas, t'étais rien. Il m'a fallu attendre le quatrième mois pour être sûr que tu existais. Mon père l'a mal pris. Le tien pareil, Benjamin alors tu es parti. Trop loin. Trop longtemps. Mais maintenant, on est réuni, voilà. Yvan, je te présente Benjamin, c’est ton père... Benjamin, je te présente Yvan, ton fils. Celui qu'on a conçu juste ici, là. Entre ces deux tombes...


Elle est étendue sur la dalle. Nue. Splendide, rayonnante. Ces cuisses offertes à la caresse du vent. Lascive et en sueur. Je souris. Elle est belle, ma mère. Vraiment... Mais je ne peux pas la laisser là.


— Maman, maman, viens.
— Maude, tu es là !
— Oui, maman
— Je racontais justement à ton frère comment il avait été conçu. Tu veux savoir pour toi ?
— Tu me l'as déjà dit dix fois maman. Un vif poète-agriculteur-je ne sais quoi sur un banc du square Rabelais. Je sais. Mais tu ne peux pas rester là maman, tu ne peux pas jouir dans un cimetière. Ça ne se fait pas. Faut qu'on y aille.
— Attends, tu vois bien que je parle à ton frère.
— Il est mort, maman. Il est mort, il s'est suicidé il y a quatre ans.
— Et alors ? Tu penses que ça m'empêche... Tu penses que ça ne vaux rien l'amour d'une mère, que la mort est un détail qui l’encombre ?
— Non, maman, bien sûr que non.
— Et alors, je n'ai pas le droit de leur parler peut-être, je n'ai pas le droit de leur dire mes mots, de célébrer leur vie, d'y prendre plaisir ?
— Si, si,mais tu sais, les paroles d'une mère, ça ne réveille pas les morts, ça endort les vivants, c'est déjà bien.
— Je t'en prie, ne m'enlève pas mon petit. Le pauvre, si seul. J'avais fait la promesse de m'en occuper, de le protéger, de l'aimer autant que je pourrais, qu'il soit diplomate, militaire, ou écrivain.
— Je ne te l'enlève pas , maman, je te ramène chez nous



Ma mère.
Il paraît qu'on revient toujours en gueulant sur la tombe de sa mère, comme un chien abandonné...
J'irais gueuler oui, moi aussi, quand elle partira. J'irais m'étendre sur sa tombe, je soulèverais ma jupe. J'écarterais les jambes et irai trouver ce corail à l'intérieur de moi. Avec deux doigts. Je trouverai ce que tant d'hommes ont cherché. Et moi aussi, je crierais. Dans ce cimetière. Comme elle. Preuve indéniable d'amour. Poème sonore, vitalisant, revivifiant. Et tant pis pour les cons que ça dérange. Mon amour comme le sien ne touche pas à l'intime, on n'en a plus depuis longtemps. Non, je veux le gueuler à la face du monde. Et en pleine extase, je sourirai et la referais vivre. Pour moi, pour son amour grand comme ses bras qui m'enlacent, qui s'accrochent pour ne pas chavirer. Je vieillirai comme ça à ses côtés.
Que j'en choisisse un ou bien que j'égraine les amants sur un chapelet adorable, j'espère, maman, que comme toi, mon désir ne se fanera jamais.


Et pour la sonate à Kreutzer, on trouvera bien quelqu'un qui sait jouer du piano.

vendredi 12 avril 2013

Ballade inconvenante pour qui y croit encore



Il ne croyait en rien, du moins à pas grand-chose
Et quand on lui d’mandait : « Dans la vie tu fais quoi ? »
Il répondait gouailleur : « Bien souvent je compose
Des ritournelles faciles et des vers maladroits
Alexandrins qu’on mord, qu’on hurle, qu’on aboie
Foutaises, broutille, bêtises, ineptie, bagatelle
Raison m’importe peu, Vérité fait sa loi
Et c’est elle que j’aime, je l’entends qui m’appelle

Elle a les tempes bleues, mais son teint reste rose
Elle est encore jolie, ravissante, plein’ de joie
La peau blanche, mais frappée de centaines d’ecchymoses
Elle te berce rêveuse, sans Dieu, sans foi ni loi »
Et il s’est embrasé, après avoir dit ça
Il partit la chercher, la belle jouvencelle
La Vérité sincère, la cause de son émoi
Vérité incroyable, puissante, universelle 

Il la chercha longtemps, sans jamais faire de pause
Il la trouva enfin, et fut saisi d’effroi
La Vérité est laide, en pleine ménopause
Une veille paumée, tremblante et aux abois
Il fut vraiment déçu, mais ça arrive parfois
Quand les rêves se confrontent un peu trop au réel
De la voir si fragile, il en resta pantois
La vérité, hélas, n’s’habille pas de dentelle

Envoi
Prince, sache au moins, qu’avant d’changer d’endroit
De parcourir les routes pour user ses semelles
La Vérité pria celui qui restait coi
S’il te plait, dit aux hommes que je suis jeune est belle

mardi 26 mars 2013

Fantaisie nocturne...



- Quand ça t’échappe, tu vois, c’est déjà mal barré. C’qui faut, c’est tenir… Tenir à l’idée, bien s’accrocher, t’as pas d’autres moyens pour t’en sortir… Et dis donc, fais voir à la boutanche quand même… Moi, tu m’verras jamais, qu’ça m’échappe, c’est juste une question d’hygiène morale. J’en ai vu plus d’un qui se complaise, et qui, quand ils s’endorment, tu vois leurs ombres qui s’échappent et ça, c’est pas bon signe, ça veut dire que demain, ils seront plus des hommes entiers, tu vois. Et quand t’es une moitié d’homme, j’vois pas tellement comment tu peux survivre, alors je t’assure que mon ombre, elle reste bien accrochée à mes pieds. Comme ça, quand le soleil se couche sur le Pont-Neuf,, j’vois mon ombre qui grandit, et ça m’grandis pareil… Et ça, c’est drôlement agréable… J’dis un peu des conneries, mais faut pas m’en vouloir… L’habitude… C’est quoi, ton nom déjà ?
- Benoit-Joseph-Labre.
- Dis voir, avec un nom pareil, tu s’rait pas un peu aristo des fois. Parce que, tu sais, tu serais pas le premier. Même moi, mon père, un jour, il m’a fait une démonstration de notre arbre généalolitique, et paraitrait que je suis un petit cousin au cinquante-troisième degré du roi du Danemark alors, hein…

Il boit. Frénétiquement. Il tète à même la bouteille. Sa pomme d’Adam monte et descend au rythme de ses goulées de plus en plus rapides. L’ascenseur éthylique d’un homme qui a soif…

- Parce que, faut pas croire, j’ai rien contre les aristos. Mais admets qu’c’est pas toujours que je picole avec un mec de la haute. Alors, dis voir, qu'est-ce qui t’a mené dans la rue ?
- Personne n’a voulu de moi, où que j’aille, alors la rue finalement, ce n’est pas le pire de ce que je peux endurer.
- Je suis d’accord avec toi , mon pote. Faut pas se leurrer. Les autres, y te regarde bizarre, mais moi, j’ai envie de dire, un compagnon dans le besoin, tu le laisse pas à l’aveuglette, surtout si y a une bouteille à la clé, donc ça m’fais plaisir de t’accueillir dans mon palace. Dis voir, qu’est ce t’en pense, de ma turne ?
- C’est spartiate…
- Haha, dis donc, t’en connais des mots, pour un mec au fond du trou. Allez, à la tienne Benoit-Joseph.

Ce n’est pas le premier pour moi, mais ce n’est jamais facile. Surtout qu’il commence à me plaire, le bonhomme. Ce n’est pas souvent qu’on m’accueille comme ça. Sa maison en carton, bien sûr, ce n’est pas Byzance, mais qu’on me laisse entrer… juste comme ça... Bien sûr, il fait froid, bien sûr, il pue. Mais dans mon boulot, les odeurs, on fait avec. Et puis avant, je devais sentir vingt fois pires…

- Eh, dis voir, m’sieur le marquis, t’aurais pas une clope des fois ? Pour aller avec…

Il rit. C’est bien. Il m’appelle l’aristo, il se marre. Je le comprends. Je rirais aussi si je me voyais. Dans ces habits-là. Lui, il s’appelle Cédric, il vient d’avoir cinquante-six ans. Né dans le nord, mineur à treize ans, vagabond à quatorze, ivrogne à quinze. Il semble avoir appris à rire depuis. Il veut qu’on l’appelle Fakir… Et il fait le clown avenue Alsace-Lorraine. … il fait marrer les gosses et les musiciens de rue… Mon Dieu, mais qu’est-ce que tu me fais faire ?

- C’est marrant, quand même, que je te rencontre… Tu vois ce soir, j’avais pas d’espoir, j’avais fait une mauvaise journée de manche, les bleus, y me sont tombé dessus. J’me suis battu avec le travelo de la gare Centrale, et v'là que tu débarques. Bon, ta bouteille, c’est pas du saint-émilion, mais ça fais tout de même vachement plaisir d’avoir de la compagnie…
- Fakir… Faut qu’on discute…
- De quoi ?

Voilà, il faut lui dire. Le pourquoi du comment.
Ça me fait toujours mal, ce moment-là. Le moment où il faut leur annoncer. Bon Dieu d’bon dieu, comme il dirait. Il y a des gens comme ça, tu rechignes un peu. Mais c’est comme ça… Et puis surtout, comment lui dire ? Lui qui s’est accroché à la vie comme à son ombre. Mon Dieu, je suis désolé, mais je n’ai vraiment pas envie…

- Ben, gars, reste pas là s’en rien dire, qu'est-ce qui se passe ?
- T’es mort Fakir, voilà ce qu’il se passe. T’es mort tout à l’heure, il n’y a pas eu de cri, il y a pas eu d’ambulances, et personne pour tes derniers mots. Et le coup de la lumière blanche, c’est rien que du mytho, voilà ce qui se passe. T’es mort sous les coups de l’autre brute, et je viens pour t’emmener…

Un temps. Il y a toujours un temps. Où ils se remémorent, où ils se rappellent, où ils s’imaginent que ça aurait pu être autrement. Mais l’imagination ne suffit jamais. Au bout du compte, ils le savent bien mieux que moi.

- Eh, dis voir, tu m’emmènes où ?
- Au paradis, Fakir… Ou disons dans un endroit qu’on pourrait appeler comme ça…
- Et mon ombre, elle vient avec moi mon ombre ?
- Non, fakir, elle, elle va en enfer, c’est sa place .
- Je peux pas la suivre, moi, mon ombre ? J’veux dire, aux enfers, il fait chaud, ça m’irait mieux.
- Écoute Fakir, je ne peux pas faire ça, c’est pas comme ça que ça marche. Mais fais pas la gueule, avec un peu de chance, tu vas t’y plaire, au paradis…
- Ouais, ça dépend du programme… Et de la qualité de la gnole… Et la résurrection, je pourrais pas ? Essayer comme ça, pour voir ?
- N’exagère pas, Fakir, on ne fait pas dans la résurrection spontanée, ça prend du temps, si tu veux vraiment, si tu veux vraiment…
- Et la réincarnation ? Ça, ça me plairait. Tu sais c’est quoi mon plus grand regret ??? J’aurais aimé être anglais pour pouvoir dire « Madame ».

Je le convaincs comme je peux. C’est con, mon Dieu, vraiment con que tu laisses partir ceux-là avant les autres. Il va se faire chier au paradis. Lui, il a besoin de la terre, il a besoin des gens. Tu m’as fait partir, comme tu fais partir Fakir. Si seulement, on avait droit de se défendre…

- Tu sais ce qui m’étonne le plus dans ton histoire de paradis ?
- Non, mais dis toujours ?
- J’aurais jamais cru, mais alors, vraiment jamais, que Dieu puisse avoir la décence d’exister…

Seigneur, quand tu seras grand, s’il te plait, laisse vivre celui-là.