vendredi 31 mai 2013

Libration

Une première tentative d'un récit Sf. N'hésitez pas à me dire ce qui cloche
 
Libration

Les plus belles histoires commencent par un naufrage. Une idée de Jack London. Un sacré gars Jack London. Un mec qui, s’il avait pu, aurait trainé ses guêtres dans cette mer-là. Et puis, il avait carrément raison. C’est en tout cas ce que se disait le lieutenant Jude à la poupe de La Matilda qui filait à pleine vitesse. Finalement, c’est une histoire de naufrage. Oui, c’est ça, une putain d'histoire de naufrage. Est-ce que London aurait été d’accord ? Jude n’en savait rien. Mais il savait que naufragé, ça lui plaisait bien. D’ailleurs c’est ce qu’ils étaient, des naufragés. Enfin sans doute d’un genre particulier.
Les pensées de Jude se laissaient aller au rythme tranquille du Deep River’ Blues qui se mêlait au ronronnement rassurant de La Matilda.  La nuit était belle. Il y a des vies qui sont comme des points de suspension. Pleine de promesses et de mystère qu’un auteur paresseux aura jetés dans le creux d’un espoir.

— Arrêt dans cinq cents mètres, tu prépares l’angle d’arrêt pour pas qu’on perde l’équilibre
— Mais pourquoi ?
— Régolithe…

Putain d’étoiles de mer. Carnivore ces machins-là. Quand ça s’insinue sous votre combinaison, pas moyen de s’en débarrasser, et ça vous ronge la peau jusqu’à l’os. Le plus souvent c’était supportable, mais certains nuages étaient si denses qu’ils devaient s’arrêter au plus vite afin de recalculer leur itinéraire pour éviter la tempête. Jude n’aimait pas s’arrêter, surtout que lignin’s boogie.était en train de commencer. Mais il n’aimait pas non plus être recouvert de régolithe. Il connaissait son boulot. À contrecœur, il se mit en position pour freiner et se colla au plus près du capitaine. Putain d’étoiles de mer.

Une fois La Matilda amarrée, le capitaine Sélène mit pied à terre et retira son casque. Elle s’éloigna du vaisseau pour mieux apprécier l’ampleur du danger.

— Jude, on est où exactement
— 38.7 Sud : 93.2 Est . En pleine mer Australe, cap’Taine
— Arrête de m’appeler capitaine. Tu sais que tu peux m’appeler Sélène.
— O.K. Cap ‘Taine Sélène
— Qu’est-ce que tu peux être con des fois !
— Désolé Cap ‘Taine Sélène.
— Bon, on recalcule l’itinéraire. Gauche ou droite ?

L’avantage quand on ne sait pas où on veut aller, c’est qu’on peut passer n’importe où. À Jude, ça lui était égal. Après tout, un air de ragtime au fond de la tête, quelques remords écrasés sur le bastingage, une belle respiration à prendre avant la marée et la permission de pousser un peu le son de la radio pour les rediff’ de Prairie Home Compagnion et autre Oldies goldies sur canal trente, il n’en lui en fallait pas beaucoup plus.

— Gauche, cap’Taine Sélène
— Bon on fait encore cinq à six cents kilomètre et tout à l’heure, on bivouaquera au pied de Mons Essam. 
— T’en as encore la force, ou tu veux qu’on tourne ?
— On verra ça à la prochaine étape, mais pour le moment ça va.

Quatorze mois qu’ils erraient à présent. Et la Mathilde tenait toujours le coup. Bien sûr, les rétropropulseurs commençaient à donner de la gîte sur Tribord, mais c’était juste une question d’équilibre. Et à ce niveau-là, Sélène et Jude constituait une équipe assez parfaite. Jude pensait souvent à sa vie d’avant. D’avant  la catastrophe. D'avant Sélène et la Mathilde. Aucun regret. Ma garce de vie s'est mise à danser devant mes yeux, et j'ai compris que quoi qu'on fasse, au fond, on perd son temps, alors autant choisir la folie. C’est Jack Kerouac qui disait ça. Un sacré mec, Kerouac aussi. T’as raison, mec, se disait Jude, t’as raison, la route, c’est la vie.

Ils s’arrêtèrent à environ quatre-vingts kilomètres de l’entrée du col et décidèrent d’y passer la nuit. Décharger les tentes de la soute de La Matilda. Faire un semblant de repas avec les restes de concentré de protéines qu’ils avaient chopé dans les carcasses des vaisseaux qui avaient échoué là depuis longtemps. Veiller. L’un près de l’autre, en silence enroulés dans des couvertures de survie. Jusqu’à ce que le sommeil se fasse tant désirer qu’il en devienne inéluctable.

Au réveil, Canal trente diffusait King of the road de Roger Miller. Moi, non plus Roger, je n’ai pas de téléphone, pas d’animaux, ni même de cigarettes, mais définitivement, je suis le roi de la route.

 — Merde, Jude, tu fais chier. Tu pourras baisser un peu le son. Je suis encore en train de dormir.
— Cap’Taine, faut qu’on en profite, on s’est pas jusqu’à quand Canal trente va continuer à diffuser. Faut faire des provisions de son pour la route au cas la batterie de leur radio lâche. Comme ça, je pourrais toujours continuer à les chanter.
— Ce n’est pas prêt d’arriver. Ces machins-là, ils ont une durée de vie d’au moins trois cents ans.
— C’est ce que je me disais pour Canal douze, mais un astéroïde a percuté le système auxiliaire qui faisait fonctionner le vaisseau, et depuis on ne capte plus rien. Allons, grogne pas Capitaine, on a de la route à faire

Jude aimait beaucoup le capitaine. Et il savait que c’était réciproque. Ça tombait plutôt pas mal. Quand tu sais que t’es les derniers représentants de l’humanité, peut-être même de toutes formes de vie dans l’univers, t’as pas intérêt à te prendre la tête avec l’autre. La solitude, ça s’affronte quand même mieux à deux.
Sélène se releva avec peine. Elle sentait que jour après jour, la route la vieillissait prématurément. Ses membres devenaient de plus en plus lourds. Le régolithe surement. À la vitesse à laquelle roulait la Matilda, ces satanées poussières devaient heurter leur combinaison, se glisser sous leur peau, s’accrocher définitivement à leur os les rendant ainsi plus lourd et plus poreux. Comment disait Jude ? Ah oui étoiles de mer. Putain d’étoile de mer même. Il avait trouvé ça un jour. Après tout, c’était ça, des poussières d’étoiles dans des mers sans eaux. Qui allait finir par avoir notre peau cap’Taine, disait-il en riant. Des putains d’étoiles de mer carnivores. Ils en riaient. Comme des gosses inconscients du danger. Ben quoi, il faut rire, non ? Parfois le soir, ils en parlaient un peu. D’avant l’exode. D’avant la route, d’avant tout ça. Aucun des deux n’avait le moindre regret. 

— Bon, Jude, on s’arrache
— Oui cap’Taine
— Tu prends le premier quart à la proue. Si tu vois des tornades, tu ne fais pas le mariole et t’arrêtes tout.
— Compris Cap’Taine

Jude était sûrement un bon compagnon, mais en termes de conduite elle lui faisait assez peu confiance. Il n’avait pas les réflexes. Dans sa tête, il y avait tout un tas de mots et de notes qui s’emmêlait. Comment tu veux rester concentré dans des conditions comme ça. C’est pour ça qu’elle était capitaine et lui lieutenant.

— Allez, on the road again cap’taine. Youhou !!!

Vers treize heures, ils firent une pause en haut du col Dorsale Scilla . Manger un bout. Souffler. Admirer le spectacle incroyable du lever de soleil. Y a des silences qui pèsent bien plus de mille mots.
C’est sur la descente que ça devint plus dur. Putain Jude, fais gaffe. La Matilda tangue dangereusement, tu ne le sens pas. Ce n’est pas une mobylette. Faut que t’en prennes soin. Je n’ai pas peur de me viander, mais si la Mathilde tombe en rade, comment on va faire pour continuer à la faire valser ? Comment on va faire, pour voir l’autre versant et la mer des désirs qui n’en est même pas une ? 
Jude sentit le capitaine se crisper dans son dos. Ils formaient un beau bloc. Il sentait la Mathilda virer doucement sur Tribord. Pas de problème cap’Taine, je gère. Il riait dans son casque. Profite cap’Taine. Profite. Et admire l’artiste.

— Putain, Jude ne me refait plus jamais ça
— Excuse-moi, cap’Taine !

Sélène s’approcha du vaisseau pour vérification. Le vaisseau. Encore une invention de Jude. Ben quoi, c’est bien fait pour naviguer sur des mers, qu’il disait, c’est notre passeport pour la liberté, non ?  En fait de vaisseau, la Mathilde était un petit bijou de technologie, un véhicule lunaire sur deux roues, qui fonctionnait à la fusion nucléaire, et qui sous certains aspects pouvait rappeler les choppers d’autrefois. Le designer avait dû être un fan d’Easy Riders, peut-être même un bikers, lui aussi.

Quand on se rendit compte que la terre allait définitivement devenir invivable, on avait envoyé des centaines de vaisseaux, remplis d’ingénieur, de médecin, de scientifique et d’astronautes pour qu’ils aillent construire une atmosphère artificielle sur la lune. Et contrairement à ce que beaucoup pensaient, ils avaient réussi. L’installation était complexe, Sélène ne se rappelait plus vraiment comment elle fonctionnait. Mais l’humanité allait être sauvée. On déclencha l’exode. Et personne ne prit garde dans l’euphorie du moment, que la gravité de la lune avait changé et que quelques centaines de milliers de vaisseaux se ruant sur la lune, avec chacune en son sein un moteur fortement magnétique, ça ne créerait rien de bon.
Ce fut une catastrophe sans nom. Navette après navette, toutes vinrent se crasher sur la lune les unes après les autres. Sans espoir de survivant. Des quinze qui étaient déjà sur la lune, dans la base spatiale nouvellement construite. Il n’en resta plus que trois. Sélène, Jude et un russe nommé Victor qui mourut le premier, rongé par le régolithe. Sélène avait sorti La Matilde du garage et avait invité Jude à tracer la route. Pour aller derrière, sur l’autre versant, sur la face cachée de la lune. Marcher un peu du côté sombre, pour une fois, ça lui faisait envie.

— Bon, ça va, le moteur va bien. Cette fois-ci, c’est moi qui conduis. Allez en route
— Oui, cap’Taine
— Et arrête de m’appeler cap’Taine
— Oui, Sélène.

Devant eux une route immense à découvrir. Et quand bien même, ils n’arriveraient pas au bout, l’important, ce n’est pas l’atterrissage, c’est la chute. L’important, ce n’est pas destination. C’est le voyage. L’important c’est d’être là, tous les deux, se disait Jude. Il pensait à Jacques Brel. Un sacré type aussi. Il y a des gens qui ont le cœur si vaste qu'ils sont toujours en voyages, voilà ce qu’il disait le grand Jacques. C’est ça, pensa Jude, perpétuels voyageurs, vagabond de l’infinie, clochard céleste. Paraitrais que les gens heureux n’ont pas d’histoires. Ça lui allait à Jude de ne pas avoir d’histoire. De n’avoir qu’un horizon pour tout avenir.

La Mathilda filait dans la nuit. Jude s’accrochait fort à Sélène, ils ne formaient qu’un seul corps. Ces pensées rebondissaient dans tous les sens au rythme de  Born to be Wild.  Les plus belles histoires commencent par un naufrage. Une idée de Jack London. Un sacré gars Jack London. Finalement, c’est une histoire de naufrage.
Oui, c’est ça.

Un putain de naufrage.

mercredi 29 mai 2013

De la natation paresseuse...

Mon pote Gaby, il dit des fois « La vie est un long fleuve tranquille, mais encore faut-il savoir nager ». Longtemps j'ai eu un peu du mal avec cette image, je veux dire, l'eau comme concept ça ne me parlait pas trop. Et Ben depuis que Gaby m'a apprit à nager dans le flot de ces paroles, je n’échangerais ça pour rien au monde. Comme il dit souvent :« Quantité de personnes ont une âme qui adore nager. Dommage, on les appelle vulgairement des paresseux ».
Enfin, moi je ne me baignerais pas dans n'importe quels discours quand même. Y a des risques. J'ai connu un homme politique, il s'est retrouvé enfermé dans une parenthèse qu'il avait ouverte et qu’il avait oublié de refermer. Et au bistrot, l'autre jour, il y a un militaire qui s'est noyé dans un Verdun. Alors je me méfie toujours un peu. Y n’a pas de paroles sans risque. Comme dit Gaby : « les mots en l'air finissent toujours par retomber ». Je ne goute pas de tous les mots. Il y a des mots salés sucrés, aigres ou amers. Des mots doux, des mots durs. Des mots crus ou cuits. Les mots on les mâche, les avale, les crache ou les digère.
Mais les paroles de Gaby, je les bois littéralement. J'aime nos conversations, qui poussent doucement à la rêverie, sans y chercher trop de cohérence. Car comme il dit toujours. « Aimer c'est un verbe irréfléchi ». Et quand la soirée s'achève, la tête un peu lourde du vin, de la bière et des phrases échangées, on fume une dernière sèche devant le bistrot. Quand on a terminé, le patron vient jeter un dernier coup devant, pour nettoyer. Gaby m'arrache toujours un dernier sourire en constatant gravement : « Seau d'eau, mégot mort ».
Il est comme ça Gaby, il aime jouer avec les mots. Pour être honnête, ça m’amuse aussi beaucoup. Parfois, on fait des calembours tellement navrants que les gens lèvent les yeux au ciel. Mais comme il leur dit si bien « Inutile de regarder en l’air, y a pas un bistro dans cette direction. »
Faut dire que c’est un plaisir, trousser la langue, qu’elle rougisse et se verdisse, qu’on s’amuse à empiler des syllabes et faire tenir ce fragile équilibre au moment d’une pirouette verbale périlleuse, jouer avec les mots et répéter chaque jour : « je ne serais plus jamais aussi jeune qu’aujourd’hui. »
Mêler cette langue avec d’autres par gout du jeu, la rendre interlope. L’autre jour au bistrot y a un tchèque sans provision qui a débarqué. Alors Gaby lui a payé un coup. L’autre voulait le rembourser, mais bon comme dit Gaby « A Vienne que pourras ».
Du coup à force de nager, de gouter et d’entendre tous ces jeux de mots laids, j’ai eu envie d’écrire moi aussi. Même si en ce moment, j’ai la muse paresseuse. Pourtant, j’ai joué de l’encrier sur ma page écrue, j’ai écrit et j’ai crié pour qu’elle revienne, mais elle fait la sourde oreille, je crois.
Ce n’est pas grave, je continue quand même.
Par désir de ma muse qui s’amuse de mes discours maladroits, de mes dithyrambes infâmes, de ma logorrhée insoutenable. J’écris pour elle, car me prenant pour Dieu, à chaque jour recommencé, j’écris le monde à son image.

mercredi 15 mai 2013

Des goûts du travail...

Toi qui me lis, je souhaite ce soir utiliser cette tribune numérique afin de pousser un cri triomphant pour manifester la joie qui m’étreint fougueusement, comme Lenny étreignait son lapin, mais non, allons, fais, pas ces yeux-là c’est une référence à Des souris et des Hommes de Steinbeck, qui traite justement de ce sujet qui me rends tellement heureux et dont je vais t’entreprendre si tu cesser de m’interrompre grossièrement
Youhouououohuou donc
Ca y es je suis le 3 220 601e chômeur de France, depuis vendredi. Depuis le temps que j’attendais ça. Et j’en remercie grandement Jean François Copé et Laurence Parisot qui m’ont grandement aidé à faire ce choix. Ils n’arrêtaient pas de dire qu’il fallait libérer le travail. Ben maintenant, c’est bon, tu peux y aller Jean François, ma place est libre.
Ô je sais ce que tu vas me dire, que je devrais avoir honte de tenir un pareil discours à l’heure de la crise et de l’austérité. Mais que veux-tu, déjà tout petit, je n’aimais pas me lever le matin pour aller à l’école, je voulais faire comme la rivière, suivre mon cours sans quitter mon lit. Alors honnêtement, aujourd’hui, je me sens franchement plus libre. Tu vas me dire à nouveau que c’est scandaleux que je me permette de dire ça alors que le chômage en France ait battu le record de 1997, que ce soit pareil en Italie, en Espagne ou en Grèce. Qu’il faut faire des sacrifices, produire et consommer pour redonner à la France ce teint juvénile et la fraiche innocente du temps de sa trentaine glorieuse et rayonnante ! Ben moi, je ne suis pas sûr que ça en vaille la peine. D’abord parce que comme dit Boris Vian, le travail c’est l’opium du peuple, et je ne tiens pas à faire une overdose. Et franchement, les trente glorieuses, c’est aussi le développement d’une idée de la société et du bonheur par capitalisation qui mérite aujourd’hui d’être abandonnée.
Nos patrons, nos dirigeants nous répètent tellement à longueur de temps qu’il faut reprendre goût au travail et à l’effort, que tout un chacun s’empoisonne la vie avec ça, cherche à devenir le plus productif, le plus compétitif sans ce demander à un seul instant si c’est bien utile ce qu’on fait. Si j'étais médecin, je prescrirais des vacances à tous les patients qui considèrent que leur travail est important pour prévenir les risques de dépression nerveuse. Forcément y a de la souffrance qui apparait. Et le pauvre gars qu’on licencie parce qu’on a trouvé un autre pauvre type ailleurs qui veut bien faire le même boulot pour six fois moins, lui il est triste en pleurs, perdus, qu’on lui ait piqué son outil de travail qu’était toute sa vie. C’est absurde.
Absurde qu’un chômeur se retrouve dans un tel état de désespoir qu’il se retrouve à s’immoler
Absurde qu’on embauche des secrétaires trilingues, pour lécher des timbres avec une seule langue.
Absurde que près de la moitié de ce qu'on produit est destiné à devenir immédiatement déchet pour le plaisir d’un bel emballage.
Et si pour avoir le sens des affaires faut perdre le sens de l’humour, alors non-merci. Moi, je n’en veux pas, je vous le laisse. Ô, mais ça ne veut pas dire que je vais ne rien faire. Au contraire, à moi le bénévolat, l’engagement citoyen, les activités si nécessaire comblées par les associations, car les marchands n’ont pas trouvé ça très rentable. Le problème c’est que prendre soin, prendre le temps de s’intéresser à l’autre, réfléchir, rêver, créer, ça n’a pas de prix. Eux et moi, on est quand même d’accord sur une chose, c’est que le temps c’est de l’argent. Et depuis que je suis chômeur, je me sens honteusement riche.
Les Espagnoles eux, ils ont su profité de leurs chômages de masse pour aller investir les rues et reconstruire un mouvement social solidaire sans leader. Ils fêtent même leur deux ans demain, c’est-à-dire aujourd’hui (car je sais que vous lirez ma chronique aujourd’hui, mais comme je l'ai écrite la veille, pour moi, aujourd’hui c’est demain, et pour vous, aujourd'hui, pour moi c’est hier, c’est clair non ?).
Alors, Travailleur de tous les pays, licenciez-vous. Quittez vos jobs, laissez tout en plan. Cessez de croire que le travail, que le fait de produire peut vous enrichir, depuis le temps ça se saurait. Arrêter de les écouter quand il vous explique que vous absolument besoin de ceci, ou de cela et même plutôt des deux pour être heureux. C’est simple au fond : Plus y a de pauvres moins il y a de riche, moins il ya de riches moins il ya de pauvres, donc plus il y a de pauvres moins il y a de pauvres.
On arrête de perdre notre énergie dans des choses trop sérieuses comme le chômage ou la dette et on s’intéresse à des choses futiles comme la vie, l’amour, le respect de la nature, la solidarité. Et eux en haut de leur tour d’ivoire auront beau nous expliquer qu’il faut produire, consommez, épargner, obéir, on se reconstruira notre petit monde tout en bas et pis on les invitera pas. On ne leur répondra pas. À leurs paroles d’argent, on opposera notre silence d'or. Un énorme ronflement. La lutte en dormant.
Bon, je m’enflamme, je l’avoue, mais que veux-tu l’émotion. Faut pardonner mes prises de position facile et mes blagues pas drôles, mais faut dire aussi que je suis un marxiste tendance Groucho.
Tu sais ce que j’ai fait le premier jour de mon heureux chômage ? J’ai mis mon réveil à 5h30 pour le plaisir de me rendormir. Et juste avant de me plonger dans mes songes, j’ai eu une pensée émue pour la France qui se lève tôt. Les boulangers, les éboueurs, les infirmières, les auxiliaires de vie, les c’eusses qui vont bosser à l’usine et surtout ce qui affiche des publicités hautes en couleur qui leur font espérer des lendemains qui chante. Mais, afficheur, si tu veux chanter vas-y, maintenant. Comme je disais tout à l’heure : demain, c’est aujourd’hui. Ton avenir, il a été déjà été racheté avec ton salaire ton loyer, ton épargne. Y a plus de Futurs, alors fait ce qui te chante maintenant.
Comme dit Gaby : « L’avenir appartient à ceux dont les ouvriers se lèvent tôt." *
Ceux qui se lèvent tôt n’ont plus que leur présent.
Ceux qui se lèvent tôt il n’ont la peur qui grandit quand il se rapproche du taf.
Ceux qui se lèvent tôt, ils ont la rage au ventre, mais la résignation leur fait courber l’échine. Et ils se lèvent quand même sous le braillement de la radio, sous le flot ininterrompu des paroles creuses, des discours en bois qui donnent la furieuse envie de fabriquer du silence à coup de poing. Et jour après jour, ils y vont quand même.
 
En espérant que ceux qui se couchent tard racontent leurs histoires. **

* Phrase amicalement prété par Aiphix le chroniqueur Haineux
http://lahaineaveuglenestpassourde.blogspot.fr/
** Phrase amicalement prété par Ben.G
http://desparolesalapelle.wordpress.com/ 


jeudi 9 mai 2013

Crépuscule d'une promesse ou Variation sur la sonate à Kreutzer


Le premier mouvement est introduit adagio dans le ton de la majeur par le violon. Après l'entrée du piano et un passage en mineur débute un presto véhément, charpente de ce mouvement qui se termine sur une coda énergique après un bref rappel du thème de l'adagio. Le contraste est saisissant avec la douceur du second mouvement, superbes et amples variations dans le ton de fa majeur.Le calme est soudain rompu par l'entrée du troisième mouvement, morceau virtuose et exubérant qui s'achève dans une course effrénée, comme par épuisement des deux instruments.
Voilà, c'est ça que j'ai joué toute ma vie. Ça la résumerait parfaitement. Mais les mots sont inaptes et aujourd'hui, ma musique aussi. Foutu violon.

— Bon, j'espère que tu vas t'y plaire. Certes c'est moins grand que ton ancien chez toi, mais c'est quand même plus ensoleillé. Et pour être honnête, je trouve le voisinage plus sympathique. Allons, ne fait pas la tête. Je suis sûr que tu vas t'y plaire. C'est juste une question d’habitude, mais tu as tout le temps devant toi, huhu. Et puis tu es plus près de chez moi. Je pourrais te rendre visite plus souvent. Alors qu'est-ce que tu en dis ?


Quand je suis rentrée, la porte était encore ouverte. J'ai jeté mes clefs sur la desserte, elles ont rebondi et c'est l'écho de ce bruit sec qui m'a fait réagir.
— Maman ?
Silence. Il est midi et demi, elle devrait être là. Elle devrait être là à jouer encore et encore la sonate à Kreutzer pour violon sans piano. Où est-ce qu'elle a encore pu aller, cette fois ?


— Yvan, je dois te dire quelque chose. Si j'ai demandé à ce que tu déménages, c'est pour te présenter quelqu'un. C'est ton voisin. Il s'appelle Benjamin. J'espère que vous allez vous entendre. Et puis, je me dis qu'il est temps que tu le connaisses. Voilà. Benjamin, voici Yvan. Yvan, voilà Benjamin. Je sais, Benjamin, je sais, ça fait longtemps, trop longtemps, mais ça me faisait trop mal de venir. Pardon. Mais il y a quelque chose que je dois vous dire à tous les deux.


J'ai fait le tour de tous les endroits habituels. J'ai l'habitude de sillonner la ville, je la retrouve toujours rapidement, mais là, je ne vois pas. Elle n'était pas chez le fleuriste, le chauffeur du 23 ne l'a pas vu, elle n'est donc pas allée aux chrysanthèmes. Diane non plus ne sait pas où elle est. Chez Francis, peut-être. C'est un peu tôt pour le calva/mots fléché du mercredi. À moins qu'elle ne fête un anniversaire, comme ça lui arrive parfois. Mais lequel, bordel,lequel ?


— Vous connaissez la date d'aujourd'hui ? Oui, c'est ça, le 13 avril. Je ne sais pas si tu t'en souviens Benjamin, mais aujourd'hui, c'est un jour très important. Yvan, maintenant, je peux te dire certaines choses. Il y a quarante-six ans, Benjamin et moi, on s'est très bien connu. Et comment dire, nous nous sommes beaucoup aimés... Ne rougis pas Benjamin ou je ne vais pas y arriver. Je m'en rappelle très bien, c'était un mercredi aussi. Son père l'avait foutu dehors parce qu'il ne voulait pas reprendre l'entreprise familiale. Il était venu me retrouver. Moi je ne pouvais pas l’accueillir chez nous – tu connais grand-père, ça aurait été terrible si j'avais voulu l'héberger.–  Bref, j'ai fait le mur, je l'ai retrouvé et on a erré dans la ville.


Diane m'a aidé. Elle s'en est souvenue, heureusement. Je ne sais pas ce que j’aurai fait sans elle. Elle a tellement aidé maman. Faudrait vraiment que je songe à la remercier. Faut que je trouve un truc à lui offrir. Faut surtout que je me dépêche, j'embauche dans trois heures. Maman, maman, tu ne pourrais pas être raisonnable, pour une fois ? Non, je sais que non. C'est bien pour ça que je t'aime.


— On ne savait pas où aller. Deux jeunes, sans le sou, où tu voulais qu'on aille ? Ici, ça nous a semblé tranquille. À l'abri. Personne n'aurait songé à venir nous chercher ici. Certes c'est un cadre un peu étrange au début, mais on s'est habitué. Enfin, c'est surtout que très vite, je m'en foutais complètement. Y avait tes yeux, Benjamin, qui m'ont si bien appelé. Je pense que de mon côté, tu n'étais pas en reste.
Je me rappelle comme on était maladroit. Notre première fois. On s'est découverts l'un l'autre. Nos chansons réciproques. Le tempo s'est trouvé bien vite. Prélude à la mélodie du bonheur. Concerto en turlute majeur haha. Pizzicatti , partout. Forte Vivace, puis adagio, pianissimo ostinato ahaha. Faut dire quand même dire Benjamin, qu'en ce temps-là, tu étais un sacré soliste. Je me souviens de ce concert, comme si c'était hier. Je peux même te la chanter, la partition de ce soir-là.
D'abord caresse approximative. Puis frottement hésitant ; bisous baveux, baiser à pleine dent, bruits, de, succion, asp,iration ne,rv,e,u,se, .. ;;. Co.rp ;s léché goût d 'am end e : respirat:tion,,r »épet_i_on,repris!e!OOOOO coda ehhhhmurmuréssoufflé, ;, ?;casende :. :.:;:euhca...cadence/rythme/tempo/pulsation : c'estbon,c'estbon,c'est,;:;c ;:';e,;:t, ;;, :!, ;!, !


Quand j'arrive, j'entends de suite. Ça résonne de partout. Merde Maman, ne me dis pas que c'est toi ? Si, c'est toi, bien sûr, y a que toi pour atteindre le contre-ut si parfaitement.


— < Ma verge, mon sang, sexe tendu, unions des deux corps, et quoi ? Tu fais dans la poésie ? Mais ma vieille, faut bien appeler une chatte une chatte. Quoi ? Ces mots, tu les as goûtés aussi bien que moi. Ton abricot, ta fleur fendue, ta maison du bonheur... mon mat de cocagne, mon bâton de pèlerin, mon âne aux deux oreilles mange, respire, pénètre sur ton invitation, l'offrande que j'arrache à tes lèvres, le son qui bourdonne à mes oreilles, la pluie qui nous consume. On peut le dire, c'était une sacrée nuit. À déranger les anges, j'en vois un qu'a encore l'auréole de travers depuis ce temps-là. Une nuit à inverser le cours des planètes... Quel qu'en soit son sens >
— < J'ai le désir de vivre, vos cris m'interpellent, je file, je file droit sans regarder autour de moi, je vous vois tout les deux en extase, au milieu de vos ébats, pupille dilatée à l'extrême. Eh maman, c'est plus de l'amour, c'est de l'orage ! Qui est en train de tomber violent. Je crois bien que ces nuages noirs au-dessus de vous, je ne m'en suis jamais bien remis. Mais j'ai coulé, je me suis fondu en toi. Patienter au chaud pendant que vous finissiez. Bien sûr tension avant le final... Et relâchement... Applaudissement du public. Je suis désolé, une si belle entrée en scène pour un final inacceptable.>


Et merde ! Elle est en transe, partie, inaccessible. Maman, merde, enfin. Je cours vers elle. Faudrait pas que quelqu'un la voie.


— Le lendemain, Yvan, tu existais. Oh t'étais encore pas, t'étais rien. Il m'a fallu attendre le quatrième mois pour être sûr que tu existais. Mon père l'a mal pris. Le tien pareil, Benjamin alors tu es parti. Trop loin. Trop longtemps. Mais maintenant, on est réuni, voilà. Yvan, je te présente Benjamin, c’est ton père... Benjamin, je te présente Yvan, ton fils. Celui qu'on a conçu juste ici, là. Entre ces deux tombes...


Elle est étendue sur la dalle. Nue. Splendide, rayonnante. Ces cuisses offertes à la caresse du vent. Lascive et en sueur. Je souris. Elle est belle, ma mère. Vraiment... Mais je ne peux pas la laisser là.


— Maman, maman, viens.
— Maude, tu es là !
— Oui, maman
— Je racontais justement à ton frère comment il avait été conçu. Tu veux savoir pour toi ?
— Tu me l'as déjà dit dix fois maman. Un vif poète-agriculteur-je ne sais quoi sur un banc du square Rabelais. Je sais. Mais tu ne peux pas rester là maman, tu ne peux pas jouir dans un cimetière. Ça ne se fait pas. Faut qu'on y aille.
— Attends, tu vois bien que je parle à ton frère.
— Il est mort, maman. Il est mort, il s'est suicidé il y a quatre ans.
— Et alors ? Tu penses que ça m'empêche... Tu penses que ça ne vaux rien l'amour d'une mère, que la mort est un détail qui l’encombre ?
— Non, maman, bien sûr que non.
— Et alors, je n'ai pas le droit de leur parler peut-être, je n'ai pas le droit de leur dire mes mots, de célébrer leur vie, d'y prendre plaisir ?
— Si, si,mais tu sais, les paroles d'une mère, ça ne réveille pas les morts, ça endort les vivants, c'est déjà bien.
— Je t'en prie, ne m'enlève pas mon petit. Le pauvre, si seul. J'avais fait la promesse de m'en occuper, de le protéger, de l'aimer autant que je pourrais, qu'il soit diplomate, militaire, ou écrivain.
— Je ne te l'enlève pas , maman, je te ramène chez nous



Ma mère.
Il paraît qu'on revient toujours en gueulant sur la tombe de sa mère, comme un chien abandonné...
J'irais gueuler oui, moi aussi, quand elle partira. J'irais m'étendre sur sa tombe, je soulèverais ma jupe. J'écarterais les jambes et irai trouver ce corail à l'intérieur de moi. Avec deux doigts. Je trouverai ce que tant d'hommes ont cherché. Et moi aussi, je crierais. Dans ce cimetière. Comme elle. Preuve indéniable d'amour. Poème sonore, vitalisant, revivifiant. Et tant pis pour les cons que ça dérange. Mon amour comme le sien ne touche pas à l'intime, on n'en a plus depuis longtemps. Non, je veux le gueuler à la face du monde. Et en pleine extase, je sourirai et la referais vivre. Pour moi, pour son amour grand comme ses bras qui m'enlacent, qui s'accrochent pour ne pas chavirer. Je vieillirai comme ça à ses côtés.
Que j'en choisisse un ou bien que j'égraine les amants sur un chapelet adorable, j'espère, maman, que comme toi, mon désir ne se fanera jamais.


Et pour la sonate à Kreutzer, on trouvera bien quelqu'un qui sait jouer du piano.