lundi 25 mai 2015

Sonate N°12 dites La dent creuse

Inspiré d'un rêve un peu chelou. Le texte est dans la même veine.

La rage de dents on peut pas dire que ce soit comme une balade printanière dans une forêt norvégienne un matin d'avril frissonnant. Ça non, c'est sûr. Parce que dans les balades norvégienne ben au moins t'as le vent frais sur ton visage, et l'odeur du pin dans les narines, et la caresse des rayons du soleil sur ta peau. Alors que la rage de dent, t'as juste mal.
J'aurais du aller en Norvège plutôt que de me réveiller ce matin là. Avec une douleur comme j'en avais rarement connu. Sentir sa gencive prendre la taille de l'ile de Guernesey n'est certes jamais agréable, et la sensation de napalm dans la bouche n'est pas là pour aider non plus. Mais je crois que ce qui me perturbait le plus, c'était ce bourdonnement incessant et inhumain qui ne cessait jamais.
C' est donc à pied et avec la plus grande peine du monde, que je me rendis chez le chirurgien dentiste le plus proche qui se trouva être par chance, également un spécialiste de l'oreille. Il était inscrit sur la plaque en fonte en bas de l'immeuble : « Docteur Bilvesé, chirurgien Cacodontiste, ORL, tailleur pour dame et Comte de Moi-Descraques. Suture au fil blanc, cautérisation au fil rouge. » Et tout en bas, en guise d'épitaphe pour cette plaque immémorial : Si vis pacem, part à Nogent.
Rasséréné par un tel curriculum, je me retrouva quelques instants plus tard dans le bureau du Docteur Bilvesé :
  • Alors jeune homme, que vous arrive t-il ? m'apostropha-t-il d'un air jovial malgré mon nerf veule.
  • Et bien docteur, j'ai mal, répondis-je simplement
  • Oui, oui, oui, très bien. Nous allons voir ça, n'est-ce pas ? se nounoya-t-il alors.

Après m'avoir installé dans son fauteuil de dentiste, ses doigt dans ma bouche grande ouverte, il fit la moue, puis alla chercher un stéthoscope et entreprit d'écouter ma dent cariée avec la plus grande attention tout en hochant la tête de haut en bas, puis de bas en haut, en cherchant, me semblait-il,une forme de cadence. Une fois cette étrange entreprise fini, il me fit relever et me regarda d'un air grave :

  • C'est bien ce que je pensais ! me dit-il de cet air qu'ont les médecins lorsqu'ils vous annoncent que vous êtes en phase terminal d'un cancer de la tuberculose du myocarde. Vous souffrez d'une réappropriation dentaire dans vos cavités creuses accompagné d'un syndrome de romantisme juif-allemand, ajouta t-il en expert
  • Et ça veut dire quoi, docteur ? M'enquis-je prestement mais sans alacrité.
  • Vous avez simplement un squatteur dans votre carie qui joue du Mendelssohn au violoncelle toute la journée, simplifia-t-il
  • Et c'est grave, docteur ? balbutiai-je
  • Mais non voyons, ça aurais pu être pire, voyons. Il aurait pu jouer du Wagner. me rassura t il compatissant.

On ne peut pas comparer le vertige de l'incompréhension qui vous mène dans les profondeurs abyssales de votre conscience à une une soirée de dégustation de wahoo ou de mahi-mahi sur une plage de Bueno Aires. Parce qu'au moins sur les plages de Bueno Aires, il y a du poisson frais à la place des docteurs qui vous affirment que vous avez un gars dans la dent. Un gars qui vit sa vie, qui joue du violoncelle, qui se fait du thé peut-être, alors que je supporte pas ça. Un gars à thé dans ma dent gâtée, faut le faire quand même.

  • Quoi mais comment c'est possible docteur ? m'exclamai-je avec la profonde naïveté des patients en phase terminale, des enfants de moins de six ans devant les merveilles du monde et des chercheurs en physique quantique quand ils rencontrent une nouvelle sous-dimension de la matière pouvant potentiellement provoquer l'ouverture d'un trou noir.
  • Oh, vous savez comme ces choses là arrivent. Il a du profiter d'un jour où vous n'étiez pas là pour se faufiler. Vous n'avez pas laisser votre dent à l'abandon pendant un temps par hasard ? soupçonna t-il.
  • Non ! Enfin je ne crois pas, me remémorai-je. Je ne savais même pas que c'était possible, conclus-je.
  • Vous savez avec la négligence des gens de nos jours, tout est possible. Et puis, il faut reconnaitre que ces gens-là sont véritablement sans gêne. La moindre opportunité qui passe, et ils s'y accrochent comme une punaise de lit sur un buffet Henri II, si vous me permettez cette expression. Et pour les arracher et bien après, c'est tintin, milou-t-il
  • Mais docteur comment vais-je pouvoir m'en débarrasser ? éructai-je
  • Et bien, il n'y a pas trente six solutions, soupira-t-il en levant les yeux au sol. Communiquez avec lui. Essayez de le convaincre d'aller ailleurs. Sinon faites appel aux force de l'ordre pour qu'ils le déloge à la lacrymogène et revenez me voir après pour les éventuels dommages collatéraux, souria-t-il. Mais en tout cas, ce n'est plus du domaine médicale. Ça vous fera 25 euros. Mais je vous laisse en prime le stéthoscope pour pouvoir communiquer avec lui, promût-il.
  • Parce qu'il m'entends ? m'effrayai-je en remettant mon chapeau.
  • Ahahah ! Dit-il en portuguais. Mais parfaitement parfaitement. Allons, à vous de jouer maintenant ! me jeta-t-il a la porte.

Une fois dans la rue, maussade comme un marin breton, déconfit, comme un canard laqué, et curieux comme un Horace, je pris le stéthoscope et l'approcha de ma mâchoire. J'entendais maintenant très nettement le deuxième mouvement de concerto pour violon de Mendelssohn.

    • Euh, bonjour, risquai-je assez peu sûr de moi.
    • Rah ! V'la cézigue ten donc. Tu me marasme depuis un paltoquet de caisse mon ci-d'ssus, répondit une voix dans le creux de ma dent.

Aucune trace dans sa voix d'un relent d'ail ou de culpabilité. Et bien que communiquant avec une langue étrange, et bien ma foi, il communiquait et c'était déjà pas mal.

    • Sans vouloir paraître malpoli, puis-je vous demander ce que vous faites là ? Et puis vous êtes qui d'abord ? raillai-je de mauvaise humeur.
    • Je me pèle John Jonojowitz MacJohanensson, d'après ma déclinaison original,se présenta t-il. C'est de l'islandais matinée de polonais écossais. C'est-y qu'ça explique mon parlouche, si tu gosebille bien ce que je t'armuche. Je pensais pas te faire trop de tort. Et pour le Cello fané, c'est-y-dire que j'ai le concert dans moins de trois decadré et qu'il faut bien que je fasse ma repasse quand même se répandit-il en confusion. Mais te mets pas les coudes dans les mollets, je suis d'bon voisinage, d'équerre. J'en fais pas plus de cinq à heure par jour pas avant dix heure mais pas après vingt-deux heures idem. Le reste de la périodicité, t'auras beau laminer ton tympan, tu ouïeras pas un pas, assurance. Je suis plutôt un cheminot discrétion, enorgueillie-t-il.
    • Mais, c'est ma dent, vous n'avez pas le droit ! m'apoplexiai-je
    • Allons camarade, ne vas t-y pas dur des dires comac. T'sé toi qu'est-ce qu'c'est la mouise et la turbine et tribune, pas faux, non ? Je suis pas le bon lottissement, en chien de carafe en faïence. T'emmanches donc pas dans la soupe pour si peu. C'est pas tant si grave que si, c'est pas non plus l'mazout si tu vois d'quoi que j'te barbote. Sans dec, mec, j'suis pas d'la chienlit, pas d'chien pas lit, alors tu peut bien faire un petit trou dans ton trou. et une petit becté tant qu'à. J'attriste avec assurance et distinguerie sans dinguerie que je suis ni clown ni girofle mais que j'ai moi aussi la dent creuse. Parce que quoique. Tu zygles ? loghorra-t-il
    • Ecoutez Monsieur Jonhassonberg, l'interrompis-je.
    • MacJohanensson, me corrigea l'outrecuidant.
    • Oui MacJohnajovic si vous voulez. Vous ne pouvez pas restez là. Après tout, c'est ma dent, j'en ai besoin. argumentai-je
    • Et qui crois tu que j'sois pas dans l'besogneux aussi ? se rabroua-t-il

On peut pas dire qu'un monologue fait à sa dent à l'aide d'un stéthoscope en pleine rue soit tout à fait comparable à un signe extérieur de bonne santé mentale, comme me le faisait remarquer les regards apeurés des passants qui passaient. Je décidais de me faire discret et je m'engouffrais dans une ruelle déserte et tant qu'a faire mal éclairé vu qu'on étais en plein jour.

  • Mister JohnMacCornicsonn, soufflai-je un coup
  • John MacJohanensson, j'ai dit, c'est pas d'la complitude pourtant. Qu'est ce que t'esgourdit pas ?
  • Johanensson, va bien falloir, à un moment où un autre que nos chemins se sépare. Vous comprenez, ça me fait mal, arguai-je.
  • Ah oui, mais ça c'est parce que j'ai pas fini de bien détergencer, pas d'inquiete, dans une journée ce sera douleur zero. Et je te dérangerais pas, me promit-crache-t-il.
  • Mais enfin, ça n'a aucun sens. On ne peut pas vivre dans une dent, me perplexifiai-je.
  • Ben pourquoi pas. D'accord c'est pas bien grand mais je suis pas bien gros. Comme qu'on dit par chez moi les-temps-qui-courent, faut se sérailler les coudes de la ceintures, grosse tête. Pis tu verra ton chico c'qui s'ra chic, cheek to cheek avec toi les peronnelles, assuré. Et j'y sais des truc dans l'domaine. Je vais te la rendre nickelchromé, jante en alu et tout. En plus c'est pour juste demain la veille que j'traine ici. J'ai une tournée vers Santiago en partance. Je m'arrachosserais quand j'entendrai le chant du guépard. Mais, de mon coté-ci de la veste, t'aura pas d'entourloupette.

Je pouvais pas faire grand chose. J'allais pas appeler les flics non plus. Après tout, ce pauvre gars avait juste besoin d'un espace pour s'exprimer. Ici ou ailleurs. Avec ou sans lui de toute façon ça faisait mal alors au moins que le malheur des uns fasse le bonheur des autres. Mais on peut pas dire que la colocation intra-dentaire soit tout de même comparable à une valse sur le beau Danube bleu. Non. Parce qu'il était John – j'ai fini par le peler John au bout de trois jours, vu que j'avais du mal à retenir son nom- et que j'étais moi, et que danser à trois temps quand t'es bancal, ça file le mal de mer. Mais je dois bien reconnaître qu'il faisait des efforts pour me rendre la vie le plus agréable possible. Il avait pas mal bourlingué et me dispensait de ses conseils. Mais bon, c'est toujours un peu gênant de paraître dans une soirée avec un stéthoscope branché sur sa mâchoire. Même ça, les gens ont finit par s'habituer. Une mode qui passe comme un passant.
Non, le plus difficile, c'est quand John ramené des amis à la maison, ses amis musiciens. Très sympa vraiment. Mais alors les jam session jusqu'à quatre heure du matin, où ils refaisaient en ragtime l'intégrale de Chostakovitsh ben je dois bien reconnaître que c'était compliqué. Sans parler des désagréments éventuelles. Par exemple, lors que j'essayais d'aborder une jolie fille, il se mettait à jouer des morceaux romantique pour me mettre dans l'ambiance. Ben, on peut pas dire que les toccate de Bach au violoncelle joué dans une dent ce soit exactement comme une sonate au clair de lune avec l'obscurité comme seule confidente. Non on peut pas le dire.
Mais bon, je m'y suis fait, j'ai fini par m'attacher à lui. Je me suis mis à cuisiner pour mettre quelque chose sous la dent afin qu'il puisse en profiter. Et puis c'est toujours plus agréable de cuisiner pour quelqu'un. Il a bien essayé une ou deux fois de me rendre la pareille, mais il faut reconnaître que les quantité me laissaient un peu sur ma faim. Et puis les odeurs de friture sous mon palais, ça devenait difficile.
Par contre j'ai redécouvert avec lui la musique et c'était plutôt agréable. Je suis allé le voir deux ou trois fois en concert. Et c'était beau. Je dois bien reconnaître que j'ai jamais trop su qui c'était parmi les violoncelliste. Faut dire aussi qu'il n'y a rien qui ressemble plus à un violloncelliste qu'une goutte d'eau.

Et puis un jour alors que je dormais le stéthoscope aux oreilles comme à mon habitude, il m'a réveillé :
    • J'y go, lâcha t-il.
    • Quoi ? émergeai-je de mon profond sommeil.
    • J'y go, que j'te dis. On démarque illico. Un ziciens du philharmonique pékinois s'est taillé la part belle avec la fille de l'air de la fugue qu'il a joué. Alors c'est la crise, es-tu sourd ? J'me casse, j'décave, j'débarque, j'dézingue, j'azimute quoi, tu l'a compréhendu ou bien faut que j'te l'chloss en bringuedaine et pavoine, baragouina-t-il
    • Mais pour combien de temps , annonai-je.
    • A ben c'est ça qu'est shlass. Si j'turbine millepertuis, j'aurais d'la cause à la revendure si tu voyes qu'est ce que je signifie. C'est pas tant qu'ça m'apporte pas des bleus de te laisser là comme une trotinette dans sa remise, mais comprends tu qui faut bien que j'me la gausse aussi. Dix ans que je fais l'pingouin à l'arrêt d'autobus, et tu voudrais que je rate la marche à cause du bateau en partance. Faut pas m'en vouloir vieux, ni me faire le gros coeur parce que je l'ai lourde aussi pis j'ai mes valises à porter; alors comprends tu, définitiva-t-il
    • J'comprends-tu, va, j'comprends tu. Ben John alors, bonne route à toi. Écris moi de temps en temps, ravalai-je une larme.
    • Ah ça, tu peux compter sur moi. J'aime bien la parlotte et je crois que le philharmonique ils sont plutôt coincé de la mâchoire. Alors encore une fois pas d'entourloupette, et j'ôterais jamais mon garde-contact, ne te fais pas d'inquiète, dissimula-t-il sa douleur dans un sourire et dans un volte-face.
    • Et John, l'arrêtai-je brusquement. Si t'as des amis dans le besoin, tu pourra leur dire où crécher, ça me f'ras plaisir de les accueillir.
    • J'en attendais pas moins de toi, mon gros. Foi de John Jonojowitz MacJohanensson, des mec à la parole aussi sûr que toi, on pourra toujours sans problement dormir dans leur bouche et pour une fois les pied au sec. T'as la connivence solidarifié, c'est moi qui le refermit, me salua-t-il

C'est comme ça qu'il est parti. Ma vie à repris comme avant. Sans rage de dent. Sans stéthoscope. De temps en temps, je reçois de ses nouvelles. Parfois de Bora-bora. Parfois de Johanesburg. Et sur mon frigo, ses cartes postales, étapes de ces tournées en pays du nord, avec entre autre chose,une photo de lui dans les taigas scandinaves. La rage de dents on peut pas dire que ce soit comme une balade printanière dans une forêt norvégienne un matin d'avril frissonnant. Non on peut pas dire, mais des fois, y a un doute.