lundi 3 décembre 2012

Lettre d'un retraité à son banquier

Dans un genre un peu différent de mes chroniques...
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À M. G, conseiller financier
Monsieur,

J’imagine votre surprise de recevoir une lettre de ma part, notre dernier entretien s’étant très mal terminé. Vous vous attendez sans doute au pire, mais je souhaiterais, avant de formuler l’objet de ma lettre, vous présenter des excuses concernant certaines paroles que j’ai pu prononcer et certains actes que j’ai pu commettre. Je n’aurais effectivement jamais dû vous insulter. Vous traiter de « gros porc impérialiste », de « résidu de spermatozoïde », de « salopard », d’« enflure », était parfaitement contre-productif au bon déroulement de notre entrevue. Pour ma défense, cela était dû à l’émotion provoquée par votre incroyable nouvelle.
            Comprenez que de découvrir que toutes ses économies, l’épargne de toute une vie, s’étaient tout bonnement envolés, par la faute de vos choix de placement parfaitement désastreux aurait eu de quoi en énervé plus d’un.
Vous m’avez demandé d’essayer de vous comprendre, et une fois l’émotion disparut, c’est effectivement ce que j’ai essayé de faire. Vous m’avez déclaré n’être en rien responsable de la perte de mes économies, que ce sont des choses qui arrivaient, que le risque lié à ces investissements n’était pas élevé et qu’il n’y avait aucun signe avant-coureur, aucun moyen pour vous d’éviter le désastre, le revers de fortune que j’ai subi. Je me rends bien compte maintenant que le véritable responsable de cet échec, c’est bel et bien moi, puisque jamais je n’aurais dû vous faire confiance, et j’ai bien retenu la leçon. Je vous présente encore fois mes excuses pour avoir essayé de vous marteler la tête contrer votre photocopieuse, d’avoir jeté la plante verte à travers votre fenêtre, frappant ainsi votre secrétaire.
Veuillez également lui présenter mes excuses ainsi qu’à vos deux collègues qui ont dû me jeter de votre bureau et qui ont dû abîmer leurs beaux costumes dans cet exercice périlleux. Ce sont tout de même eux, je tiens à vous le signaler, et la violence dont ils ont fait preuve qui ont fini par me convaincre de la démarche que j’entreprends maintenant. Je me dis que sans vos deux marcassins, tout aurait pu être différent.
Passons maintenant à l’objet de cette lettre : ceci est un hold-up. Ne riez pas, il ne s’agit pas d’une mauvaise plaisanterie. La lettre que vous tenez actuellement a été préalablement recouverte de poudre de ricine par mes soins. La ricine, vous l’ignorez peut-être, est un poison extrêmement toxique qui, une fois inhalé ou absorbé par voie cutanée, ne mets que quelques minutes à agir. Vous devriez d’ailleurs déjà en éprouver quelques symptômes : Irritation oculaire, larmoiement, détresse respiratoire… À une certaine dose, l’empoisonnement à la ricine est réputé incurable. La bonne nouvelle pour vous est que j’ai fait partie de l’équipe de chercheurs qui a travaillé sur un antidote. Celui-ci fut ensuite amélioré par mes soins pour vous convenir parfaitement.
Vos problèmes respiratoires doivent avoir augmenté, je suis donc sûr d’avoir votre pleine attention.
Cet antidote est caché dans le coffre de votre bureau, dont j’ai préalablement changé le code. Je vous recommande de ne pas essayer de le forcer. Comme vous me l’avez vous-même dit lors de notre première rencontre, vos coffres-forts sont inviolables…
Ma demande est très simple, je veux seulement être remboursé. Je souhaite que vous effectuiez un virement sur le compte suivant (R589624FG45569565DE12331496547) d’un montant de 38 000 euros qui correspond à la somme que j’ai déposée sur le plan d’épargne retraite que vous m’avez fait souscrire. Vous pouvez prendre ce montant sur le ou les comptes que vous souhaitez et les justifier comme bon vous semble. D’autre part, pour vous punir de votre incompétence, je souhaite que vous me versiez l’intégralité de vos cinq ans de salaire que vous avez gagné en étant mon conseiller privé, ce qui correspond, si je ne m’abuse, à une valeur de 150.000 euros. Je veux que cette somme provienne de votre compte uniquement.
Quand j’aurai la confirmation du virement, je vous transmettrai le code. Bien en tendu vous pouvez toujours prévenir la police et le SAMU, mais il me semble que cela ne soit pas du tout de votre intérêt. Il vous faut savoir que la formule du poison que vous avez inhalé ainsi que celle de son antidote sont parfaitement unique et intéresseront grandement les autorités sanitaires lorsqu’elles l’étudieront à l’autopsie. De plus, il serait inhumain de votre part d’appeler à l’aide et ainsi exposer d’autres personnes à l’air empoisonné de la pièce dans laquelle vous vous trouvez. La quantité d’antidote que je me propose de vous fournir ne peut valoir que pour une personne.
Il vous reste encore quelques heures avant que vous ne fassiez un syndrome de détresse respiratoire aigüe ou encore un choc anaphylactique.
Vous voyez, finalement, on est bien peu de choses, et lorsque toutes les certitudes, tous les espoirs sur lesquels on a fondé sa vie disparaissent, il est nécessaire de faire l’impensable afin d’assurer sa survie. Cette leçon, je l’ai apprise grâce à vous et je pense que de vous l’apprendre à mon tour vous permettras, à l’avenir, d’être plus respectueux envers les quelques malheureux dont vous avez encore la charge de « conseiller ».
            Je ne souhaite pas vous retarder plus longtemps, comme vous me l’avez souvent fait remarquer, lors de mes plaintes ces derniers mois, votre temps est précieux.

Dans l’attente de votre réponse que j’espère lucrative,
Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de mon plus profond mépris

Jacques Arnault, chercheur au CNRS

Post-Scriptum : Il serait pervers ici de continuer ce petit jeu en vous faisant perdre encore du temps à lire mes inepties. Mais je souhaiterais ajouter que si vous trouvez mon procédé immoral, sachez que c’est vous qui m'avez appris cette attitude, que je résumerai par cette sentence : « L’argent n’a pas d’honneur ».
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