jeudi 19 janvier 2017

Et c'est pas fini et ça continue

Aux égarés qui passeraient par là, ce blog est maintenant fermé

Mais il continue ici
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A là bas donc

Des bises

jeudi 2 juin 2016

Lettre ouverte à Renaud suite à son interviouve sur le blog la préfecture de police de Paris

Cher Renaud

C'est marrant, j'aurais pas cru.
D'autant que de base, je suis pas croyant. J'aime pas les dieux, les rois et les idoles. Je vomis le pouvoir. Je hais les ordres et les consignes. Et oui, j'ai vingt ans aux entournures. Mais j'y aurais pas cru.
Pis je suis de cette génération désabusé de base. Pas blasé, ni vaincu, non. Désabusé.  C'est un mot rigolo, désabusé. Et c'est même plutôt joli. Celui qu'on abuse pas. Celui qui est détrompé, éclairé. 'Tain, si c'était vrai, ce serait beau. J'aimerais bien être éclairé, moi. Et comprendre un peu mieux ce qui se passe. Mais non, je suis juste désabusé, et un peu dépressif. Quand tu avais vingt ans, toi tu avais des rêves. Nous, d'après ce qu'on nous raconte, nos rêves ne sont plus que des utopies. Alors on lutte pour la beauté du geste, pour l'impossibilité du monde fraternel dont on rêve. On lutte comme on crève, sans espoir.  Mais bon, finalement c'est pas grave. c'est la vie, il paraît.
Moi, j'ai jamais balancé un pavé. J'ai jamais appelé à tuer du flic. Je crois même n'avoir jamais été  au baston. Mais j'ai pris des coups. Physiquement et symboliquement.
Physiquement,  je me suis fait virer de squat, j'ai fait des chaines humaines ou des tortues pour résister le plus longtemps possible. J'ai essuyé des colères, du mépris et oui, une fois, je me suis fait tabasser plutôt pas mal par des punks en manque - Oui, ça n'a rien avoir avec le schmilblick, mais je considère que si tu racontes ta vie, je peut raconter la mienne-.
Symboliquement parlant, j'ai pris des claques aussi. Trop nombreuse peut-être pour être cité, ou surtout trop insignifiante finalement quand je me rends compte que je vomis également les symboles. N'empêche...
 Y a eu d'abord cette fois où j'ai fait écouter Brassens à mon amante de l'époque, et dont la première réaction a été : « Il est un peu misogyne, quand même ». J'ai protesté, j'ai argumenté, et puis je me suis rendu à l'évidence. Mais c'est pas grave. Faut pas confondre l'homme et l’œuvre, et autre temps autre mœurs et tout ça. Brassens reste ma plus grande passion, et je lui serrerais volontiers la main mais bon, je le reconnais, il était un peu misogyne dans certains de ces textes. Voilà. C'est pas grave, mais ça m'a fait chier.
Je pourrais te dire aussi que Rictus et ses soliloques du pauvres m'ont fait chialer parce que le type a dit mieux que tout le monde qu'est ce que c'était la galère, la mendicité, et pourquoi il n'y a rien de pire que la charité. Un type qui vingt ans après deviendra antisémite et belliciste. Nouvelle claque. C'était un sacré grand écart quand même. Mais bon, c'est pas grave. On se construit avec.
Faut que je t'avoue que, quand tu as dit que tu allais sortir un nouveau disque, les copains, ils se sont un petit peu foutu de ta gueule. Moi pas. Quand on est chanteur, on chante. Ça n'a rien d'étonnant . Il y a eu ton premier tube, j'ai écouté puis je me suis dit «Attendons, c'est pas grave, on verra bien ». Chanson méthode Coué pour te motiver, grand bien te fasse. J'aurais pas cru mais bon. C'est pas grave.
 Pis ton disque est sortie. Contrairement aux copains qui t'avaient déjà banni de leurs discothèques, je l'ai écouté le jour de la sortie. Je ne ferais pas ici une énième critique de ton CD, d'abord parce que tu t'en fous, et qu'au final moi aussi. T'es chanteur, tu chantes, tu fais un album qui me plaît pas, je l'écoute pas et puis basta. C'est pas bien grave. C'est la vie quoi.
Je vais pas te cracher dessus pour ça. Je m'en fous. J'aurais pas cru que tu fasse ce disque là c'est tout.Je pensais que ça s’arrêterait là. Un battage médiatique que j'ignorerai consciencieusement. Deux ou trois prise de parole de ta part qui me ferai râler. Deux ou trois intervention de mes potes contre lesquelles je me battrai, pis une guitare pour chanter La bande à lucien ou Son bleu. Mais rien de plus.
J'aurais pas cru à plus.
Mais hier je t'ai lu répondre à une interview pour le blog de la préfecture de police de Paris. Et ben j'aurais pas cru. Pas cru que tu puisse oublier que l'ordre public que tu souhaites actuellement tu l'as jadis fustigé. Pas cru que tu puisse à ce point là mélanger ce que sont les black blocks, les casseurs et les terroristes. Pas cru que tu puisses oublier que le terrorisme en question dont on fait les frais actuellement, c'est nous qui l'avons créé. Par ces terres qu'on a colonisé, par cette domination qu'on a imposé. Tu l'as chanté pourtant. Bien sûr y a des cons partout, mais si en plus on alimente leur conneries alors, franchement...
Et pis je t'apprendrais rien en t'expliquant le fonctionnement de la police. J'veux dire, c'est pas les CRS qui font de l'anti terrorisme. Par contre c'est eux qui font de la répression. Qu'ils en ait marre eux aussi, qu'ils veulent des ordres clairs, qu'ils ceci qu'ils cela, c'est un autre débat. Et effectivement, on pourrais en causer. Mais confonds pas tout. Tu as embrassé un flic, et tu y as perdu ta langue.
Je suis pas contre les flics, je suis contre le pouvoir, je suis contre l'oligarchie, contre le monde qu'on nous impose, et moi je suis trop lâche pour faire quelque chose. D'autres luttent contre les flics qui font office de tampon entre le citoyen et l'état.
Tu peut dire ce que tu veut dans ce contexte et dans cet réalité, quand tu donne une interviouve sur le blog de la préfecture de police, symboliquement ça m'fout une claque. Tu aurais pu dire la même chose partout. Franchement. Alors pourquoi la dessus ? Sur ce média là ?
Je suis pas du genre à dire « choisis ton camps camarade », je te l'ai dit, je lynche pas les gens. N'empêche que là, ton camps tu l'a choisi tout seul. J’achèterais pas ton disque, je te défendrais pas face aux copains. Tu as changé de public, tant mieux pour toi, tant pis pour moi. C'est la vie c'est pas grave.
Je sais que tu ne répondra pas à cette lettre, tu as des olympias à remplir, tu as forcement plus raison que moi. Moi je joue seulement dans le métro à République, sur le quai de la ligne neuf. Alors c'est dire le fossé.
Mais tu sais ce qui est marrant : C'est que la chanson qui me rapporte le plus de tunes vers 7 ou 8 heure du matin sur le quai de la neuf à republique c'est « hexagone ». Et ça tu vois, j'y aurais pas cru.

D'autant que moi, je prefère Peau aime.

vendredi 25 septembre 2015

La mauvaise fréquentation

 
La mauvaise fréquentation.

— J'aime pas du tout tes fréquentations imaginaires.

Ce devait être un mardi, elle avait mis son foulard bleu vif. Elle remuait nerveusement sa cuillère dans son café. Alors qu'elle n'avait pas même pas mis de sucre. Ce n'était pas bon signe. Julie Vignon de Courcy, elle, laisse son sucre fondre dans le café pendant qu'elle reste là, songeuse. Et c'est beau. Mais Alice qui touille son café sans raison, c'est mauvais signe. Un peu comme un train qui arriverait à Hadleyville.

Vraiment pas du tout. C'était marrant au début, mais tu commences à m'inquiéter Alek. J'ai l'impression que tu ne fais plus la différence.

Accoudé au comptoir, je voyais Louis en train de s'enchainer son quatrième pastis de la matinée. Louis avait pris l'habitude de mettre une ceinture et des bretelles. Je n'aimais pas trop Louis. Je n’ai aucune confiance en quelqu’un qui porte à la fois une ceinture et des bretelles. En quelqu’un qui doute de son pantalon.

Tu es en train de te faire bouffer la tête avec ses conneries. Est-ce que tu m'écoutes au moins ?

Elle avait posé sa cuillère sur la table et a bu son café d'une seule traite. Je sentais qu'il fallait que je dise quelque chose. C'était peut-être vrai ce qu'elle me racontait après tout. Est-ce que je ne suis plus capable de faire la différence ? Est-ce que je crois vraiment que tout ça est vrai ? Dites Mrs Torrance, est-ce que Danny est là ?

Je ne dis pas que je ne suis pas sensible à l'effort, mais trop, c'est trop, tu comprends ?

Mais elle se trompait surement. Je sais bien moi ce qui est réel. J'ai encore des sensations, des souvenirs. Ça avait commencé comme une plaisanterie. Après le troisième rendez-vous, elle m'avait avoué qu'elle aurait aimé un peu d'imprévu dans sa vie. Que je manquais un peu de fantaisie ! Qu'elle aimerait plutôt sortir avec un homme comme Georges Kaplan, mais si, tu sais, Cary Grant dans North by Northwest. Voilà un type qui même pris dans une machination dont il n'a pas idée s'en sort toujours et de manière de plus en plus improbable. Elle disait qu'elle aimerait que sa vie ait plus de péripéties. Que je devrais essayer.
Fais-le ou ne le fais pas, mais il n'y a pas d'essai. C'est bien connu. C'est même elle qui me l'a appris. Et je voulais revoir Alice. Alors le lendemain, ça n'avait pas trainé. Je m'étais gominé les cheveux, j'avais mis un costume, et je l'avais emmené sur le terrain de l'aéroclub du coin pour lui refaire la scène de l'avion. Qu'est ce qu'on avait ri avant de se faire jeter par le gérant.

Je veux dire, oui, c'est impressionnant, mais regarde toi, franchement, ça devient carrément n'importe quoi. Faut que tu réagisses, Alek.

On a rapidement pris le pli. Ça me plaisait bien aussi faut dire. Dans le métro, on descendait toujours à la prochaine. Quand on passait par la gare, on croisait trois types qui attendaient et dans ces trois types il y avait trois balles. Paris était tout petit pour ceux qui s'aimaient comme nous de ce si grand amour et quand on se rendait chez un copain à une demi-heure de chez nous, on y était en dix minutes. C'était pratique. Mais c'était un jeu.

Je vais te dire Alek, je sais pas si je vais pouvoir continuer comme ça.

Tant qu'elle ne l'a pas clairement dit, ce n'est pas fini. Jusqu'ici tout va bien. Mais je sais bien que l'important c'est pas la chute, c'est l'atterrissage. Qu'est ce que je peux lui dire ? Que c'est de sa faute ? De la mienne ?

Je sais pas quoi te dire. J'ai adoré galoper avec John T. Chance, partir sur les routes avec Robert Kincaid, enquêter avec Marlowe, et danser avec Andy Miller. Mais je crois que ça t'a un peu trop atteint.

Atteint, mais pourquoi atteint ? Je sais bien moi que dans l'ouest, quand la légende dépasse la réalité, on publie la légende. Je n'avais pas vraiment le choix, elle n'aimait pas Alek alors je suis devenu cette légende. Forcément, l'acclimatation a été difficile. Travis Bickle ne pouvait pas s'empêcher de demander à la boulangère si c'était bien à lui qu'il parlait, Vito Corleone faisait des propositions que le guichetier de La Poste ne pouvait pas refuser, et Paul Volfoni n'arrêtait pas de demander au patron s'il y avait de la pomme dans son vitriol. Mais bon, on s'adapte quoi.

Je ne sais plus qui tu es, Alek. C'est dur pour moi, tu comprends.

Une larme coule le long de sa joue. Ça me fend le coeur. Et personne pas même la pluie n'a de si petites mains. J'ai envie de lui dire de ne pas faire ça, mais les mots restaient bloqués dans ma gorge. Moi qui croyais qu'on était les fils de pute les plus chanceux du monde. Non, je ne comprenais pas. Je sais bien que je n'avais pas besoin de courir le monde après mon destin comme un cheval sauvage. Mais elle l'avait voulu. J'étais maintenant taillé dans l'étoffe dont on fait les rêves.

Je suis réel, tu comprends ça ? Je suis réel, et toi…

Et moi, quoi ? Je suis quoi ? J'existe pas peut-être ? Puis exister, après tout ça ne veut rien dire. Le coup le plus malin que le diable n’est jamais fait c’est de faire croire à tout le monde qu’il n’existait pas. Je suis juste allez un peu plus loin.

Toi tu es devenu évanescent, tu apparais en vingt-quatre images par seconde. Tu es en deux dimensions, c'est perturbant pour les gens, comprends-le. Toutes les quinze minutes, je vois la brulure de cigarette du projectionniste en haut à gauche de ton épaule. Merde, Alek, tu me parles en digital surround, tu te rends compte ?

Et alors, c'est pas mieux ? Certes, ça rend certaines choses un peu plus complexe. Quand j'entends du Wagner, j'ai envie d'envahir la Pologne, et j'admets qu'au petit matin, mon appart a des relents de napalm, mais on s'y fait non ? Et puis j'ai trouvé un chouette job à la cinémathèque. Tu en voulais du rêve, tu en as.

Je ne sais pas ce que je vais faire.

Je suis devenue un personnage de film. Voilà. Je me suis réveillé un matin, imprimé sur pellicule. Mais est-ce que ça veut dire que je ne suis pas réel ? Après tout, je t'aime, je suis fidèle, je suis un homme de paroles, courageux, romantique et j'embrasse comme un dieu. D'accord, je n'existe pas. Mais bon.

Personne n'est parfait.





mercredi 23 septembre 2015

Chantecler Syncopé


Réponse à un appel à texte sur le thème du grand chant. Je reconnais que c'est un peu bizarre mais c'est le but.  Comme d'hab', hésitez pas à laisser un petit mot.


Chantecler Syncopé

« Tu vois bien [...] que le jour peut se lever sans toi »
Chantecler, Edmond Rostand




...sieds toi donc, j'voudrais pas que tu t'engourdisses comme une carpe devant l'bon dieu, non mais, vas-y, vas-y j'te dis, pose-la ta question ! Et crains pas de me faire de la pouille, hein, j'ai tellement emmanché ces derniers temps qu'y a pas des caisses que j'engrange plus. Comprends donc bien qu'c'est pas toi, l'periot, qui va m'donner la claque. Alors oui, tel que tu m'vois je suis à l'essor, j'ai l'coeur chiffon. Je lustre plus comme avant, c'est sûr. Assieds-toi là, j'te dis, près du gourbil. Pis au moins, je s'rais rassuré quant à la contagieus'té. Des fois que j'aurais choppé la métaphysique. On est pas à l'abri, dis-toi.
Oui tu vois bien qu'ça va pas si mal. J'm'emballe toujours, je cause trop haut, c'est donc que ça s'rait pas si grave que t'y penses t'y. Et puis tu crois quoi hein, l'bec en blanc ? Que moi le marquis de La-Braille-sur-Morgue, le chevalier de la luette, Monseigneur de Sept Fois dans la Bouche et Sans les poches, je me suis tari ? Tu crois que je coule plus de source, c'est ça ? Moi, qu'on appelle Galilée, parce qu'elle tourne, dit Mange-trottoir, dit Festin-nu, dit l'Abreuvoir, tu y pressens, ou bien quoi ? J'ai toujours la tête à l'envers et l'monde en vrac.
Alors de quoi que tu me blablates, j'suis armaturé. D'équerre et au fil à plomb. Pis en vrai, si tu l'oses pas pousser ta question, j'vais l'faire pour toi. Tu t'encrasses de pas savoir par quoi le monde tient. Ou par quels fils, par quelles tortues, éléphants ou mastodontes. Tu te dégoises al' vertical'. T'as l'bidonnant en cale sèche, et tu sais plus quoi donc t'y faire pour qu'ça's'passe. Alors je t'le dis de tout go et sans vers hein ! Ça passe pas, moi qui suis là depuis une quinze de décadre, je peux t'l'asséner glorieux. C'est-y pas tant grave hein. C'est lassitude des fois mais saleté de lasseté. Y a pas grand-chose pour lutter contre l'azimut. Y a des zingues qui m'ont armuché que j'étais dans l'erreur. Mais ils entravent que dalle. C'est que j'ai d'la limpe, moi.
Mais trêves de billeverseraine. Toi, tu te demandes pourquoi que je cause en rond. C'est simple. Je fais tenir le monde. Si je m'arrête de parler, tu passes à l'attrape. Vérité, je repeins pas le tableau en noir pour le plaisir. Mais si je m'arrête de blatérer, ben y a tout qui s'arrête. Comment je le sais ? Tu te sapes comment dans tes tréfonds ? C'est des choses qui se savent, c'est tout. J'espère que tu me respires bien quand j't'annonce ça.
Le zig qu'a dit qu'au début était le verbe, ben il avait pas tort. On construit nos illusions sur nos mots pis c'est tout l'tintouin. Ça vaut bien un chapeau en Espagne et de la bulle de savon en sine qua non. Parce que t'as beau médire, comment l'atmosphère tiendrait sans que je luis souffle dans sa gueule hein ? L'air de rien peut-être mais l'air c'est moi. La sphère aussi. Banco todos et tutti quanti. Pourquoi tu deviens agitation d'un coup ? Quoi ?
Qu'est-ce que t'essaye de boxonner ? Je dors pas bidouillé, moi, j'suis raide dans mes bottes. Tu aim'rais me faire croire que le jour se lève sans moi ? T'es bien un givre, tiens qui crois-tu t'y que tu l'abuses, s'pèce de merle.
Tu veux me faire croire que l'alouette et l'rossignol ne créent pas leur nuit en plein jour ? J'ai pas l'air, mais j'ai la manière et l'éducation, moi m'ssieur !
Ça y est, tu t'engrosses mal, et tu veux décave. Normal. Ça se fait commac et c'est toujours la rengaine du pareil. T'adoucis pas donc, et trace ton pavé. Tu trouveras bien le bout de la rue. Le monde est juste après. Bandonne moi donc, c'est l'habituelle. Normal.
Ciao frangin, garde-toi d'angine, et va faire tourner la mappemonde. Moi je reste affilé à ma langue pour faire dans la préservation. Je devrais être une espèce protégé avec mon auditorium à ciel ouvert.
Tiens en v'la un autre de valet d'paille. Du genre à s'embraser au premier feu de détresse. Du genre à rechercher le slang de derrière son noeud de pendu. Mais qu'il s'approche et ce sera tout suite une autre paire de vis. Il est en maladie, ça se lorgne bien sur sa tenue. Un bout de zinc en fond de mémoire peut-être. Comme l'autre il voudra savoir, comment que je crée mon foin et comment que je l'engrange. Faut bien de ça pour que ça tourneboule comme il veut. Tiens donc, il se ramène avec sa question en ci-devant.
Salut, vieille branche, comment qu'ça va. Chanteclerc, dit clair-de-lune pur l'espoir, dit l'fredonneur, dit Six-sur-sept vu que je suis jamais là le dimanche. Faut bien laisser au Dab son jour de gloire. Alors, t'as une question ? Pas de souci, j'ai tout mon temps. A...

mercredi 9 septembre 2015

Cent mètres à deux mains

Cent mètres à deux mains
ce qu'on peut faire à une seule.



Dans un bureau. Deux hommes s'ennuient fermement.
Entre leurs deux bureaux, une pile de documents d'environ trois mètres de haut s'entasse. Un conduit dissimulé plus haut crache de temps à autres une nouvelle feuille qui va se poser sur le tas déjà conséquent.


UN : Pfiou ! Encore un document à classer.
DEUX : Oui, ça n'arrête pas en ce moment.
UN : A se demander ce qu'il font là-haut.
DEUX : Si ça se trouve, ils nous balancent tous ces document sans même les lire.
UN : Ça, ça ne m'étonnerait pas d'eux.
DEUX : C'est pas pour être mauvaise langue, mais j'ai pas l'impression qu'ils font grand-chose à l'étage du dessus.
UN : Oui, ça me paraît évident. Il nous est impossible de classer tout ces documents au rythme où ils arrivent.
DEUX :  Ils doivent sans doute s'entrainer pour les jeux olympiques de la procrastination.
UN : Brusquement inquiet Vous croyez ?
DEUX : Bah oui sans doute. En tout cas, vu leur rythme de glande, je pense qu'il pourrait y prétendre.
UN : Ah merde !
DEUX : Mais pourquoi vous vous mettez dans un état pareil. Ce n'est pas si grave après tout.
UN : C'est à dire que... Moi aussi je m'entraine.
DEUX : Vous vous entrainez ?
UN : Oui.
DEUX : A quoi ?
UN : Mais à la procrastination, voyons. Moi aussi, je vais tenter les jeux mondiaux cette année. Et si ceux du dessus s'y mettent, ça va pas être gagné.
DEUX : Alors comme ça, vous procrastinez ? Je dois vous dire que je n'ai rien remarqué. Vous faites ça depuis longtemps ?
UN : Je dirais deux mois environ, à temps plein. Et depuis au moins un an, cinq ou six heures par jour.
DEUX : J'aurais vraiment jamais cru.
UN : C'est à dire que ma spécialité à moi, c'est la procrastination furtive. Procrastiner sans se faire remarquer. Le catimini, quoi.
DEUX : Et bien chapeau, mon cher. Je ne m'en étais pas du tout aperçu. Vous êtes très bon.

Trois nouveaux documents descendent par le conduit.

UN : Oui mais vraiment, je crois que je suis pas au niveau, par rapport à ceux du dessus.
DEUX : Allons mon cher, allons ne vous faites donc pas tant d'idées noires. Puis avec le boucan qu'ils font, je ne suis pas sûr que il réussissent l'épreuve de catimini.
UN : Oui vous avez sans doute raison. De toute façon cette année, la concurrence sera rude. Il faudra compter sur les Corses, les Espagnols, les Portugais.
DEUX : Les Portugais ?
UN : Oui, ils ont failli  remporter le championnat l'année dernière. Ils avaient réussi toutes les épreuve de retard en bâtiment. En tout cas, c'est ce que prétendaient les juges.
DEUX : Ah bon !
UN : Oui des entrepreneurs triés sur le volet qui jugeaient de l'avancement des travaux. Ils ont tranché en faveur des Portugais.
DEUX : Ah bon, il me semblait que les Russes pourtant avait l'air mieux qualifiés.
UN : C'est parce qu'ils sont toujours bourrés. Alors forcement, ça aide dans le fait de ne rien faire mais ça n'annihile pas complétement la volonté formelle de ne rien faire.
DEUX : Et les Japonais ?
UN : Ah eux, ils n'arrivent jamais à rien. Ils se sont complétement vautrés dans les épreuves de retard de courrier et de mail à envoyer de toute urgence. Ils ont fini dix minutes après le coup d'envoi. Alors que l'avant dernier a quand même fait l'effort de terminer en plus de six heures.
DEUX :  Et le premier ?
UN : Trois jours je crois.

Dix nouveaux dossiers tombent lourdement sur la pile.


DEUX : Vous croyez qu'ils s'entrainent pourquoi ? 
UN : Peut-être la recherche d'excuse pour devoir non rendu. En général c'est une épreuve qui fait du bruit.
DEUX :  Ah ?
UN : Oui comprenez, les participants sont tenu d'être le plus convaincant possible. Alors forcement, ça tempête, ça hurle, ça menace. Pour prendre l'ascendant sur le juge. Même si la méthode Bartleby fait beaucoup mieux ses preuves, ça reste une technique extrêmement difficile nécessitant un sang-froid et un moral à toute épreuve.
DEUX :   Et ça consiste en quoi ?
UN : Quand un examinateur lui demande de faire une tâche, il répond simplement « I would prefer not to ».
DEUX :   Élégant et efficace.
UN : Oui, c'est sûr. C'est un anglais qui a mis ça au point. Mais c'est difficile.

Cinquante nouveaux dossiers tombent.

DEUX :   Oulala.
UN : Oui, je vous plains.
DEUX :   Me plaindre ? mais pourquoi ?
UN : Tout ce travail à faire. Ça me fait mal rien que d'y penser.
DEUX :   Oh mais je vous arrête tout de suite. Je ne vais pas classer ces dossiers.
UN : Ah bon mais pourquoi ? Vous avez autre chose à faire ?
DEUX :  Ah mais non ! Je profite simplement des mes privilèges de champion du monde. Et j'attends que le travail se fasse tout seul.
UN : Vous, champion du monde ?
DEUX :   Oui, cinq fois d'affilé.
UN : Mais comment...
DEUX :   Oh c'est bien simple, le jour de la compétition, je ne me pointe même pas aux épreuves. Et je n'ai qu'à venir le lendemain pour récolter mon prix.
UN : Astucieux.
DEUX : Oui. J'ai simplement utilisé le principal atout de la France pour ce genre de compétitions.
UN : Et c'est ...
DEUX : La suffisance.

lundi 7 septembre 2015

Une photo

A Antoine

      Quand, assis à mon bureau, je lève les yeux, je vois, accroché au mur, la photo d'un copain.

   C'est vrai que cette phrase n'a l'air de rien comme ça. Vaguement bancal au niveau du rythme. Certainement sans intérêt. Ce n'est pas une façon de commencer un texte. Pourtant les faits sont là. Je n'y peut pas grand chose. Quand, assis à mon bureau, je lève les yeux, je vois, accroché au mur, la photo d'un copain et c'est comme ça.
   Pour comprendre l'intérêt de cette phrase,  il serait nécessaire que je fasse preuve de précision. Il est des soirs comme ça où l'on ne peut plus se contenter de l'habituel brume où notre esprit s'engoue. De la très vague réflexion dont on se satisfait paresseusement. De la facilité qui nous pousse à réfléchir plutôt demain peut-être si le temps le permet.
   Non. Ce soir, j'éprouve le besoin de devenir précis. Alors une photo finalement, c'est un point de départ comme un autre. Ça a l'avantage d'être au moins un peu net. Ou au moins de proposer un cadre. On décrit ce que l'on voit, le plus précisément possible, et ça ira mieux.
   Voilà.
   Quand, assis à mon bureau, je lève les yeux -ce qui m'arrive à chaque fois que je me mets à divaguer- je vois, accroché au mur, la photo d'un copain.
   Quand je dis la photo d'un copain, je ne veux pas dire que la photo représente un copain mais plutôt que c'est une photo prise par un copain. Il faudrait sans doute que je vous parle du copain, des circonstances, du contexte général. De ce que représente la photo aussi. Puis que je fasse étalage des conclusion que j'en ai tiré. Oui. Comme ça ce serait bien. Ce serais plus logique. Mais je ne sais pas si ce soir, j'ai tellement envie d'être logique. Parce que finalement, je ne sais pas si la logique à grand chose à voir la-dedans. Mais il faut essayer. La photo est bel est bien en face de moi et il va bien falloir que j'en tire quelque chose.

   Disons d'abords qu'elle est en noir et blanc. Je ne sais pas finalement si ça sert le propos mais ça donne au moins un certains cachet à l'œuvre. Pardon, à la photo. Le copain m'en voudrait que je qualifie ses œuvres d'œuvre. C'est que les copains aussi ont leur susceptibilités qu'il faut ménager même si on a envie d'être précis. Surtout d'ailleurs quand on a envie d'être précis. Et il serait regrettable que - à force de vouloir préciser-  ma relation amical avec ce copain en pâtisse. A préciser des choses, on remue ce que l'autre a voulu cacher dans ses méandres. Et je sais bien que personne n'aime trop que l'on remue ses méandres. Il faut que je m'attache à rester concentrés sur mes propres méandres - ce qui demande déjà une certaine somme de boulot- plutôt que de me mêler des méandres des copains. La précision c'est compliqué.

   Donc une photo en noir et blanc, prise il y a environ neuf ans, au milieu du printemps, au Népal, et offerte par le copain quelques six mois plus tard à la fin de notre année de colocation contre une affiche récupérée dans la rue dont j'étais alors le propriétaire. L'affiche représentait la photo bien connu - en noir et blanc elle aussi- d'un vieillard et d'une petite fille possiblement tsigane - sans certitude - mais en tout cas dépenaillé en train de regarder au loin. En haut à gauche de l'affiche, on pouvais lire : La pauvreté n'est pas un délit, laisser quelqu'un à la rue est un crime et devais être signé par le Secours Populaire ou Action contre la faim. A vrai dire, je ne m'en rappelle plus très bien. Mais j'ai besoin de précision. Si, ça me reviens. Fondation Abbé Pierre en guise de signature. Je m'en souviens maintenant. A vrai dire quand je vois la photo du copain, je revois aussi cette affiche qui trônait dans notre salon. Pourtant la photo ne présente pas tant de similitude avec l'affiche. A part le noir et blanc. Et encore. Si le noir et blanc devait être un facteur commun, on en n'aurait pas fini avec les amalgames. Et justement, je ne veut pas amalgamer mais préciser. Donc il faudrait dire que quand je regarde cette photo, je vois aussi, cette affiche juste derrière. C'est comme ça.
   Donc une photo troqué contre une affiche qui me tenait à cœur trône au milieu du mur face à mon bureau. La photo représente un paysage que l'on ne distingue pas puisqu'il s'agit essentiellement d'un paysage de ciel brumeux. Ce qui avec le flou, crée surtout un aplat blanc non identifiable. Pas de montagnes, pas d'horizon, rien. Si je n'avais pas su par le copain que la photo avait été prise au Népal à la fin de la guerre civile, je n'aurais jamais pu le deviner. Oui parce que c'était pendant la guerre civile de 2006 au Népal. Je le sais parce que le copain me l'a raconté et que je me rappelle à l'époque avoir suivi les informations népalaises pour la seule et unique fois de ma vie. Ça  n'est donc pas représenté sur la photo mais dans l'immensité du blanc, on peut, à sa convenance rajouter les images de la guerre et de la souffrance népalaise que mon copain a également ramené mais qu'il ne m'a pas laissé puisque je n'avais plus d'affiches à lui troquer. Et puis l'aplat blanc permet de toutes les afficher d'un coup.
   La photo représente aussi au premier plan, toujours un peu flou, et dans des tons très noirs, très contrastés, à gauche sur sur toute la longueur un tronc d'un arbre, dont on voit les feuilles tomber sur la largeur du haut et ses racines grandir sur celle du bas. Ce qui donne à cette photo - qui, au centre, est rempli de ciel laiteux, je le rappelle - un cadre dans le cadre. Un cadre ouvert sur la droite. Un espoir d'évasion, ou une fuite en avant si on prend le sens de lecture occidentale.
   Je dis fuite en avant parce que c'est comme ça que mon copain m'expliquait, avant de partir, l'importance de son voyage au Népal. Il voulait faire sa fuite en avant, ne pas construire ou vivre ce qu'il vivait sur le moment mais partir loin s'ouvrir, pour s'oublier un instant.
   Je ne dis pas qu'il a raison. Mais quand je vois ce cadre dans le cadre lorsque je divague à mon bureau, et bien j'entends encore cette argument qu'il m'avait asséné pendant les quelques mois qui précédèrent le départ. Je vois cette ouverture sur la droite, et je vois la fuite en avant.
   Je distingue dans cette arbre, dans ce cadre, l'appartement que nous partagions alors, sous les toits, le plafond variant entre deux mètres et quarante centimètres de hauteur selon où l'on se plaçait dans la pièce ou dans la chambre. Pour ma part, j'avais décrété qu'un matelas à même le sol de ce coté-ci de ma chambre ferait une très bonne couche et permettrait une utilisation optimal de mon espace alloué. Et, malgré quelques réveils en sursaut qui ont contribué à me faire une tête dur ou cabossé, je n'en ai pas démordu pendant cette année de colocation. Je vois dans ces feuilles menaçantes ce fameux plafond, et j'imagine au dessus le toit de l'immeuble auquel nous avions accès et les soirées passées à contempler la rumeur de la ville.

Enfin dans ce cadre inachevé sur la droite, sur ce fond de brume indéfinissable, au centre de la composition on distingue sans le moindre doute, une silhouette humaine. Cette silhouette est celle - vu sa corpulence et sa taille - d'un enfant. Probablement un garçon. Je dis probablement parce que d'une part on ne distingue pas son visage, et que d'autre part je me dois d'être précis et d'exposer mes doutes également. Donc la silhouette d'un probable garçon jouant à conduire un cerceau avec un bâton. Ce jeu, désuet dans nos régions, me renvoie sans peine aux souvenirs de mes lectures de jeunesse où l'on me montrait des enfants de mon âge en train de jouer à de tels jeux. Ce jeu m'évoque mon père, qui parfois entre ses silences, laissait entendre qu'il fut lui aussi un jour un enfant bien que je peinais à le croire.
   Ce qui est particulièrement marquant dans cette photo, c'est que l'enfant et le cerceau ont été pris dans un moment de grâce, presque aérien. En effet, ni l'enfant, ni le cerceau ne touche le sol. Preuve en est, le fin liseré blanc que l'on distingue entre les racines et les pieds de l'enfant et du cerceau. Et il court, non pas vers le tronc à gauche mais bien vers l'ouverture à droite. Ces deux éléments me rendent ce personnage presque irréel. Je vois cette photo comme un temps suspendu, un acte gratuit, précieux. Un moment juste.
   Et je crois que cette enfant qui fuit en avant, le cerceau à la main, l'attitude insouciante et espiègle que je lui prête dans ce contexte de guerre civile au Népal, n'est rien d'autre en fait que le portrait en silhouette de mon copain. Et qu'à chaque fois que je vois ce petit bout d'homme, je repense à mon copain. A ses souvenirs de voyages qui furent tant d'espérances - à défaut d'expériences - pour moi. A ce qu'il me racontait des hôpitaux de Katmandou en pleine guerre civile qu'il a pu visiter lors de sa crise d'appendicite à la fin du voyage. Je vois dans la clarté du ciel népalais les vallées désertiques en Turquie où l'on peut vivre en troglodytes. Je vois dans les racines les copains qui me portent, ceux qui me racontent leur souvenir de Marrakech, de Brasília, des favelas, du carnaval. Je revois trop brièvement, dans les racines des arbres celui qui est partie vivre chez les Papous. Et celui là qui me racontait la force du vent islandais, cet autre qui me disait la sècheresse et l'amour de Ouagadougou. Je les revois tous, avec leur images, leurs sons, leurs odeurs qu'ils portaient avec eux. Et surtout leurs fuites en avant, le cerceau à la main comme seule arme contre la brutalité du monde.


Voilà, pour être précis, on dira que quand, assis à mon bureau, je lève les yeux, je vois le monde. Et puis un peu d'espoir là sur la droite.

mercredi 8 juillet 2015

Never Mind The Bollocks


Don't know what I want but
I know how to get it
I wanna destroy the passer by


Johnny Rotten, Anarchy in the UK


Ivy avait attaché ses cheveux. Je crois que c'est ça qui m'a d'abord intriguée. Parce qu'Ivy aimait bien en général garder ses cheveux détachés. Elle disait avec une pointe de mépris envers moi qu'il fallait qu'elle les mette en valeur. Que c'était ce qu'on avait de plus beau, de plus attirant. Moi je m'en foutais bien. J'emmerde l'apparence. Mais c'est vrai que je la préférais avec les cheveux dénoués. Elle était devant l'armoire et cherchait quelle tenue elle allait porter ce soir. Chaque fois c'était le même cirque. Cette robe qu'elle trouvait trop ceci, cette combi qu'elle trouvait trop cela. Et puis surtout cette moue caractéristique de vague dédain comme si rien n'était assez bien pour elle alors qu'elle aurait pu tuer pour ses fringues achetées à prix d'or. Mais pas ce soir. Ce soir, elle jeta son dévolu très rapidement sur une robe bleu pâle, assez sobre ne la mettant pas spécialement en valeur. Oh putain, j'avais zappé la date.


Nancy était sur le lit, le casque sur les oreilles en train d'écouter sa musique de sauvage. Elle me jetait un regard en coin de temps en temps alors que j'étais en train de me préparer. Je sais qu'elle a oublié la date de l'Option. Elle a été recalé et je ne sais même pas pourquoi. Après tout on est née en même temps. On a suivi globalement le même parcours. Alors il n'y a pas de raison. Vu comme elle me regarde maintenant, je crois qu'elle a compris. C'est les cheveux peut-être. Elle n'aime pas trop quand je les attache.


Ivy m'a regardée un moment. Je me suis levée, elle m'a prise dans ses bras. J'ai horreur de ça mais aujourd'hui je crois qu'elle en avait besoin. Puis elle m'a souri et elle m'a dit que t'en fais pas ça va aller. Ivy m'énerve souvent mais j'ai besoin d'elle. Et je sais que c'est réciproque. Putain d'Option. Ivy y croyait dur comme fer jusqu'à ce que sa pote Raphaëlle d'une année de plus qu'elle ne passe l'Option de manière catastrophique. Moi j'avais compris depuis longtemps mais je crois que ça lui a fait un choc. Putain, elle s'est retrouvée parachutée en usinage et amour constant alors qu'elle avait des doigts de fée pour la couture et le dessin. Je crois que c'est à ce moment-là que Ivy a commencé à avoir des doutes. On nous disait qu'avec ça la société serait plus juste, que l'Option c'était la garantie d'une juste répartition des tâches, des compétences et des besoins. Que en plus, ça annihilait la peur de l'avenir. Oui, je comprenais. Mais je savais déjà que c'était des conneries.


Nancy était une idéaliste. Pas moi. Nancy avait passé un temps fou à me convaincre que l'Option était une abomination. Que c'était nous priver de la seule rare liberté qu'il nous restait. Moi, j'étais pas d'accord. C'est comme ça que ça fonctionnait, on y pouvait pas grand chose. Fallait s'y faire c'est tout. Aux dernières nouvelles, Raphaëlle n'était pas si malheureuse. Elle disait même qu'elle était enfin rassurée dans la lettre qu'elle nous avait envoyée. Ça avait mis Nancy dans une rage folle. Elle l'avait traité de tous les noms et puis moi aussi. Mais y a rien de mal à vouloir connaître son avenir pour éviter l'angoisse. Je crois que c'est ça qui embêtait le plus Nancy. Qu'en refusant l'Option, elle se condamnait aussi à l'angoisse. Je sais que Nancy repensait à tout ça dans la voiture de Papa. Quoi qu'on en dise Predicthab avait amélioré la condition de l'être humain du XXIIème siècle. On avait vu ça en Histoire. Avant, l'angoisse était partout, tout le temps. Maintenant, grâce à l'Option, on allait pouvoir vivre sans le poids du futur sur le dos. Nancy avait le trac pour moi, c'est tout. Juste un moment un peu intimidant à passer.


Ivy était assise à l'avant, moi à l'arrière comme toujours. Papa faisait la conversation. C'est à dire qu'il parlait seul. Il parlait de son Option à lui, de la peur et du soulagement qu'il avait ressenti après les résultats. De ce que ça avait de formidable quand même d'être fixé une fois pour toutes. Ivy souriait poliment. Putain je sais pas comment elle faisait. Elle se dirigeait droit vers le pire moment de sa vie et cette connasse souriait. Papa a toujours défendu l'Option comme étant le plus grand progrès humaniste jamais institué. Après tout c'est ça qui lui avait permis d'avoir deux filles formidables – en disant ça, il avait jeté un œil dans le rétro pour me faire sentir qu'il me trouvait aussi formidable malgré certains désaccords comme il disait-. Mais je ne suis pas aussi formidable qu'Ivy. Elle n'avait jamais dérogé à la règle, elle courrait maintenant vers son avenir, le sourire aux lèvres. Et Papa qui ne cessait de sourire. Quel con.


Papa ne s'est jamais rendu compte à quel point Nancy le détestait. Je ne sais plus trop quand ça a commencé. Peut-être quand Maman est partie de la maison. Nancy lui en a voulu de n'avoir pas essayé de la retenir. Le fait qu'elle parte n'était pas prévu par l'Option. Enfin pas officialisé. Apparemment, Maman a voulu expérimenter son Option prime. C'est rare, mais ça arrive. Mais Nancy n'a pas accepté que mon père n'ait pas voulu expérimenter lui aussi. En même temps, elle ne se rend pas vraiment compte de ce que ça veut dire. C'est même plus du confort mais une certitude de vie qu'il faut envoyer en l'air pour expérimenter. C'est pas si simple. Mais Nancy a pris le parti de Maman. Je crois que quel que soit le tirage de son Option, elle se débrouillera pour vivre son option prime ou même double prime. Ne serait-ce que pour emmerder le monde.


On avait visité le consortium comme tous les élèves de troisième cycle mais venir un soir de cérémonie d'Option, c'est pas la même chose. Tout brille de mille feux. Il y a des centaines et des centaines de gens. Tout en paillette. J'avais déjà vu à la télé des cérémonies de l'Option mais en vrai c'est quand même différent. Je crois que Ivy est tombé sous le charme directement. Papa à son bras, elle est rentrée fièrement. Elle est allée saluer tous ses camarades. Qui sont aussi les miens. Sur trois cent quarante-sept membres du troisième cycle de l'état de New Virginia, seulement quatre d'entre eux -dont moi- ne seront pas soumis à l'Option sur cette session-là. On ne sait jamais vraiment pourquoi pour certains, l'Option est ajournée. Ce qui est sûr, c'est que Ivy va se faire avoir en beauté dans ce bâtiment semi-fictif sous les applaudissements de la foule et surtout de son père. Je le vois d'ailleurs qui me fait signe de les suivre. J'arrive Papa. Je vomis derrière la caisse et j'arrive.


Plus que quarante minutes avant que la cérémonie ne commence. Je vois Nancy quatre rangs derrière moi. Nous, les aspirants sommes sur les deux premiers rangs, on n'a pas le droit de se mélanger. Il y a de l'excitation dans l'air. Pourtant Nancy à l'air plus mal que jamais. Elle n'a jamais réussi à accepter le principe de l'Option. Et surtout le catéchisme déterministe lui faisait horreur. Nancy est comme ça. Elle ne croit pas qu'on puisse avoir un seul avenir. Elle est idéaliste. Moi pas. C'est peut-être pour ça qu'elle ne fait pas partie de cette première sélection de l'Option. L'idéalisme est assez mal vu. J'espère qu’ils ne vont pas l'envoyer dans un centre de rééducation. Je sais pas si Papa si opposerait. A vrai dire on a jamais vraiment bien su ce que c'était que son Option à lui. Il paraît naturel que cela reste intime, après tout. Mais c'est vrai que c'est étrange que cette intimité, ma future intimité soit exposée au grand jour. Nancy joue avec son bracelet en cuir, signe de nervosité. Ça ne devrait plus tarder maintenant. D'ailleurs le présentateur est déjà sur scène.


Garp Thorn monte sur scène sous les Vivas de la foule. Très sûr de lui, il salue, fait quelques clins d'œil complices et finit par s'immobiliser dans un rond de lumière dessiné par une poursuite. Ce qu'il va dire pour commencer, je pourrais le réciter par cœur. Enfin par cœur. C'est surtout Ivy qui le saurait. Elle qui passait son temps à regarder ce bellâtre à la télé faire l'astrologie du jour, et pire à noter fiévreusement tous les paramètres. Tous les numéros et symboles à prendre en compte cette semaine. Nancy me le faisait souvent son discours : Mesdames et messieurs, bienvenue et bonsoir. Aujourd'hui, grâce à la science, la prédictibilité de l'avenir devient tous les jours de plus en plus sûr. Et ce soir, mesdames et messieurs, c'est la cent cinquante-troisième session de l'Option. Un spectacle faramineux qui demandera votre participation. Les trois cent quarante-trois jeunes gens présents auront besoin de vous. Car je vous rappelle le principe. Les cartes vont parler par ma voix puis ce sera à vous de voter pour la prédiction qui vous semble la plus correcte par rapport au candidat. Et grâce à vos votes, tous ces jeunes gens se débarrasseront enfin de l'angoisse pour pouvoir entrer dans l'avenir gaiement. Mais il est temps de commencer. Alors jeunes gens…


Quel sera votre avenir ? J'aurais pu réciter ça par cœur tellement je le connaissais. Nancy détestais ça, que je me précipite chaque jour pour suivre les prédictions de Garp Thorn. Elle le trouvait mielleux. Et pire je crois qu'elle ne pouvait pas supporter qu'il puisse avoir raison. Un jour en cachette, je lui avais noté les prédictions de sa semaine. Le dimanche, je lui avais montré les résultats en lui demandant si c'est bien ça qui s'était passé. Elle est rentrée dans une rage folle. Elle m'a hurlé dessus, m'a demandé de ne jamais recommencer ces conneries avec moi, elle a menacé de me frapper et papa est intervenu. Elle n'a pas voulu me parler pendant trois semaines après cet incident. Pourtant, je savais moi que tout ce qui avait été prédit été vrai. Je l'avais bien vue embrasser Nelson Hodgkin. Et ça, Garp Thorn l'avait prédit. C'est peut-être ça qui l'avait à ce point énervée.


Allez, c'est parti pour cette putain de cérémonie. Je vois Ivy qui tend le cou en avant afin de mieux voir le premier candidat s'avancer sur le plateau. PredicHab, c'est toujours la même histoire. Le mec monte sur scène, le vieux gominé lui fait tirer des cartes d'un tarot ancestral qui à priori daterait du XIXeme siècle et c'est parti pour le numéro de grande épate. On lui tire quatre cartes. Ensuite Garp se met à pérorer en mode médium en pleine crise de mysticisme et puis il finit par proposer trois interprétations du futur de ce mec qui se réaliseront. Et grâce à la démocratie prédicitve, on passe d'abord un petit film sur la vie de ce mec et puis ensuite les techniciens de PredicHab simulent une espèce de montage de sa vie future. Lui avec son chien. Lui atteint de leucémie mais entouré de personnes aimantes. Lui découvrant le principe Roswell-Berstein. Lui à la piscine, au bowling, en train de manger des gaufres. Lui et ses avenirs probables. Et c'est alors qu'on rentre en scène. Nous, les habitant de Certenrion, la ville de PredicHab, la ville de l'avenir comme il l'appelle ici. Quel cynisme. Notre rôle maintenant c'est de voter pour l'avenir le plus « probable » de ce type parmi les trois proposés. Et celui qui retiendra le plus de suffrage deviendra son Option principale. La seconde l'Option Prime et la dernière l'option double prime. L'option principale est celle qui se réalisera. C'est grâce, disent-il, à l'intelligence collective. Intelligence collective, mon cul. Une belle connerie surtout.


Plus que trois aspirants avant mon tour je commence à appréhender un peu. Elyssa s'est vue attribuer comme option mère de famille au foyer en grande dépression après son troisième enfant mort-né. Le public interrogé part Garp Thorn justifiait cela par les moments extrêmement heureux avant, et sa fin rapide. De toute façon, ce sont les cartes qui décident. Je ne sais plus bien ce que je fais là. Je jette un coup d'œil à Nancy. J'aimerais tellement qu'on échange de place maintenant, ce jeu ne m'amuse plus du tout.


C'est le tour de Ivy. J'ai peur pour elle. Elle monte sur l'estrade. ce salopard de Thorn l'embrasse sur ses deux joues. Pourriture va. Ça y est, elle tire les cartes. Je prends une grande inspiration.


Je me retrouve face à la foule. Garp Thorn me dévisage et annonce d'abord la projection de mon résumé puis celui de mes trois options. Nancy en face de moi me regarde intensément. Je ne sais plus quoi faire, je suis paralysée.


Ivy et Nancy dans leur baignoire à huit ans. Ivy et Nancy en train de manger une glace. Ivy et Nancy en train de se battre. Nancy qui triche en regardant sur la copie de Ivy. Ivy mécontente que Nancy embrasse Nelson Hodgkin. Voilà ce que je suis en train de regarder dans le résumé. D'ici on ne sait pas trop d'ailleurs qui est Ivy et qui est Nancy. C'est normal. On a changé de rôle tellement de fois. Même papa ne nous distingue plus. Voici la présentation des Options. J'ai peur.


Nancy et Ivy en train de faire du vélo. Ivy amoureuse, Nancy en fauteuil roulant définitivement tétraplégique. Ou bien Nancy et Ivy en train de se disputer; La courageuse Nancy qui veut sortir Ivy de l'enfer de la drogue où elle est tombée. Puis la courageuse Ivy devant une tombe. Ou bien la plus si courageuse Ivy, en Magistrate supérieure de la cour de Certerion en train d'envoyer Ivy en taule pour le meurtre de Garp Thorn. Voilà ce que je vois.


Nancy me regarde. Non pas Nancy, Ivy. C'est Ivy sur scène. Àforce de changer je ne sais plus trop bien où j'en suis. Ivy me regarde, comme elle ne m'a jamais regardé. Et c'est là que j'ai compris. J'ai pas pu m'empêcher de crier un grand « Non ». Ça lui aurait plu comme effet dramatique.


Je regarde Nancy. Je refuse. Nancy avait raison. J'entends Thorn dire des trucs mais je n'écoute rien. Je toise la salle. Puis sans même y penser, avec le plus grand naturel du monde, j'ai fait un pas hors de la scène. Par le devant de la scène. Une scène de trente mètre de haut.


La salle est vide depuis longtemps maintenant. Les ambulanciers ont retiré le corps de Nancy. De Ivy pardon, c'était Ivy sur scène. Moi on m'a laissée là. J'ai fait comprendre à papa que je ne bougerai pas. Il est en train de parler avec les ambulanciers en dehors du théâtre. Sans doute pour les convaincre de m'administrer un calmant. Je m'en fous. Ce soir je me casse. Je sais pas où ni comment mais je me casse.

J'ai laissé un message à Papa. Sur un des murs du théâtre. J'ai tracé deux mots avec le sang d'Ivy.

No future.