mardi 26 mars 2013

Fantaisie nocturne...



- Quand ça t’échappe, tu vois, c’est déjà mal barré. C’qui faut, c’est tenir… Tenir à l’idée, bien s’accrocher, t’as pas d’autres moyens pour t’en sortir… Et dis donc, fais voir à la boutanche quand même… Moi, tu m’verras jamais, qu’ça m’échappe, c’est juste une question d’hygiène morale. J’en ai vu plus d’un qui se complaise, et qui, quand ils s’endorment, tu vois leurs ombres qui s’échappent et ça, c’est pas bon signe, ça veut dire que demain, ils seront plus des hommes entiers, tu vois. Et quand t’es une moitié d’homme, j’vois pas tellement comment tu peux survivre, alors je t’assure que mon ombre, elle reste bien accrochée à mes pieds. Comme ça, quand le soleil se couche sur le Pont-Neuf,, j’vois mon ombre qui grandit, et ça m’grandis pareil… Et ça, c’est drôlement agréable… J’dis un peu des conneries, mais faut pas m’en vouloir… L’habitude… C’est quoi, ton nom déjà ?
- Benoit-Joseph-Labre.
- Dis voir, avec un nom pareil, tu s’rait pas un peu aristo des fois. Parce que, tu sais, tu serais pas le premier. Même moi, mon père, un jour, il m’a fait une démonstration de notre arbre généalolitique, et paraitrait que je suis un petit cousin au cinquante-troisième degré du roi du Danemark alors, hein…

Il boit. Frénétiquement. Il tète à même la bouteille. Sa pomme d’Adam monte et descend au rythme de ses goulées de plus en plus rapides. L’ascenseur éthylique d’un homme qui a soif…

- Parce que, faut pas croire, j’ai rien contre les aristos. Mais admets qu’c’est pas toujours que je picole avec un mec de la haute. Alors, dis voir, qu'est-ce qui t’a mené dans la rue ?
- Personne n’a voulu de moi, où que j’aille, alors la rue finalement, ce n’est pas le pire de ce que je peux endurer.
- Je suis d’accord avec toi , mon pote. Faut pas se leurrer. Les autres, y te regarde bizarre, mais moi, j’ai envie de dire, un compagnon dans le besoin, tu le laisse pas à l’aveuglette, surtout si y a une bouteille à la clé, donc ça m’fais plaisir de t’accueillir dans mon palace. Dis voir, qu’est ce t’en pense, de ma turne ?
- C’est spartiate…
- Haha, dis donc, t’en connais des mots, pour un mec au fond du trou. Allez, à la tienne Benoit-Joseph.

Ce n’est pas le premier pour moi, mais ce n’est jamais facile. Surtout qu’il commence à me plaire, le bonhomme. Ce n’est pas souvent qu’on m’accueille comme ça. Sa maison en carton, bien sûr, ce n’est pas Byzance, mais qu’on me laisse entrer… juste comme ça... Bien sûr, il fait froid, bien sûr, il pue. Mais dans mon boulot, les odeurs, on fait avec. Et puis avant, je devais sentir vingt fois pires…

- Eh, dis voir, m’sieur le marquis, t’aurais pas une clope des fois ? Pour aller avec…

Il rit. C’est bien. Il m’appelle l’aristo, il se marre. Je le comprends. Je rirais aussi si je me voyais. Dans ces habits-là. Lui, il s’appelle Cédric, il vient d’avoir cinquante-six ans. Né dans le nord, mineur à treize ans, vagabond à quatorze, ivrogne à quinze. Il semble avoir appris à rire depuis. Il veut qu’on l’appelle Fakir… Et il fait le clown avenue Alsace-Lorraine. … il fait marrer les gosses et les musiciens de rue… Mon Dieu, mais qu’est-ce que tu me fais faire ?

- C’est marrant, quand même, que je te rencontre… Tu vois ce soir, j’avais pas d’espoir, j’avais fait une mauvaise journée de manche, les bleus, y me sont tombé dessus. J’me suis battu avec le travelo de la gare Centrale, et v'là que tu débarques. Bon, ta bouteille, c’est pas du saint-émilion, mais ça fais tout de même vachement plaisir d’avoir de la compagnie…
- Fakir… Faut qu’on discute…
- De quoi ?

Voilà, il faut lui dire. Le pourquoi du comment.
Ça me fait toujours mal, ce moment-là. Le moment où il faut leur annoncer. Bon Dieu d’bon dieu, comme il dirait. Il y a des gens comme ça, tu rechignes un peu. Mais c’est comme ça… Et puis surtout, comment lui dire ? Lui qui s’est accroché à la vie comme à son ombre. Mon Dieu, je suis désolé, mais je n’ai vraiment pas envie…

- Ben, gars, reste pas là s’en rien dire, qu'est-ce qui se passe ?
- T’es mort Fakir, voilà ce qu’il se passe. T’es mort tout à l’heure, il n’y a pas eu de cri, il y a pas eu d’ambulances, et personne pour tes derniers mots. Et le coup de la lumière blanche, c’est rien que du mytho, voilà ce qui se passe. T’es mort sous les coups de l’autre brute, et je viens pour t’emmener…

Un temps. Il y a toujours un temps. Où ils se remémorent, où ils se rappellent, où ils s’imaginent que ça aurait pu être autrement. Mais l’imagination ne suffit jamais. Au bout du compte, ils le savent bien mieux que moi.

- Eh, dis voir, tu m’emmènes où ?
- Au paradis, Fakir… Ou disons dans un endroit qu’on pourrait appeler comme ça…
- Et mon ombre, elle vient avec moi mon ombre ?
- Non, fakir, elle, elle va en enfer, c’est sa place .
- Je peux pas la suivre, moi, mon ombre ? J’veux dire, aux enfers, il fait chaud, ça m’irait mieux.
- Écoute Fakir, je ne peux pas faire ça, c’est pas comme ça que ça marche. Mais fais pas la gueule, avec un peu de chance, tu vas t’y plaire, au paradis…
- Ouais, ça dépend du programme… Et de la qualité de la gnole… Et la résurrection, je pourrais pas ? Essayer comme ça, pour voir ?
- N’exagère pas, Fakir, on ne fait pas dans la résurrection spontanée, ça prend du temps, si tu veux vraiment, si tu veux vraiment…
- Et la réincarnation ? Ça, ça me plairait. Tu sais c’est quoi mon plus grand regret ??? J’aurais aimé être anglais pour pouvoir dire « Madame ».

Je le convaincs comme je peux. C’est con, mon Dieu, vraiment con que tu laisses partir ceux-là avant les autres. Il va se faire chier au paradis. Lui, il a besoin de la terre, il a besoin des gens. Tu m’as fait partir, comme tu fais partir Fakir. Si seulement, on avait droit de se défendre…

- Tu sais ce qui m’étonne le plus dans ton histoire de paradis ?
- Non, mais dis toujours ?
- J’aurais jamais cru, mais alors, vraiment jamais, que Dieu puisse avoir la décence d’exister…

Seigneur, quand tu seras grand, s’il te plait, laisse vivre celui-là.

mercredi 20 mars 2013

De la solitude et de l'espoir en l'avenir...

Mon pote Gaby, il dit des fois : » finalement le seul métier d'avenir, c'est vendeurs de calendriers » avant de rajouter « Tu me remettras un demi, j'ai ma nappe phréatique qui ne reconstitue pas ». IL comme ça Gaby, poète à seize heures, mais plus du tout à seize heures trente. Et la poésie c'est important. Ca embellit la vie, ça Rimbaud, ça permets de voir les choses en farce et comme ça d'avoir de l'espoir en l'avenir,
Parce qu'en ce moment, c'est pas la gaudriole. J'ai l'impression que tout le monde fait la gueule, s'isole, et guetté par la déprime. Alors on se change les idées comme on peut. Gaby, il joue avec les mots en compulsant frénétiquement son almanach' Vermouth et moi, je m'essaie à la philo de comptoir, parce qu'en terrasse c'est trop cher. Qu'est-ce que tu veux, la philo moi, j'ai ça dans le sang. Quand je lis lettre et le néon de Jean Sol Parte, ça me remue les tripes à la mode de Kant. J'aime jouert avec Descartes, la période Heidegger de 14-18. J4ai un peu du mal avec les antique, parce que ça me fout le vertige, j'ai peur d'Ovide, pis Platon et Socrate, c'est pas mon truc, je suis pas vraiment un lecteur à cigüe. Mais quand je me plonge dans les modernes, plus moyen de me décrocher, au chaud au fond de mon Nietzche, je n'y suis pour Bergson. Pis ça me permet de supporter mieux la solitude.
Parce que je vais te dire, la morosité ambiante, elle vient du fait qu'on s'isole affectivement. C'est attristant comme dit Iseult. J'ai l'impression que tout le monde se conduit comme mon cousin Gaston qui a passé sa nuit de noces à éviter la jeune mariée qu'étais complètement beurré. On cherche à éviter la promise cuitée, c'est un peu con…
Parce que c'est en s'ouvrant aux autres, en vrai, qu'on pourra sans sortir. IL faut retrouver le sens du collectif, parce que c'est quand même les copains qui te rendent la vie plus supportable. En parlant de philosophe, Marx disait souvent : « Heureux qui communiste «... Bref, ce serait tout de même plus agréable.
Et puis ce serait l'occasion pour de belles rencontres. On organiserait de véritables conférences au sommier, on redécouvrirait Shakespeare et son songe d'une nudité, on prouverait encore une fois que la friction crée l'orgasme.
C'est Février qui ne nous a pas laissés indemnes. Mais ne vous inquiétez pas, comme dit Gaby : « On a jamais été aussi près du printemps ». Alors haut les cœurs, debout les mornes et en avant Mars...

samedi 9 mars 2013

Lettre d'un inconnu à un(e) autre


Comment dire,

C'est tout simple au fond.

J'ai eu peur que cette page reste blanche. Je suis un peu leucosélophobique et ce bout de papier qui traînait sur mon bureau depuis des jours et des jours, ça me rendait malade. Pourtant je ne savais pas quoi en faire. Oh, certes, j'aurais pu y mettre quelques pensées impromptues, scribouiller mes fantaisies nocturnes, jeter en pâtures des vers de comptoir au premier coup d'oeil malvenu. Mais l'idée que son utilisation ne soit que purement formelle me dérangeait beaucoup. Quel gâchis, quel gaspillage que de ne pas saisir l'opportunité de glorifier l'inutile, le gratuit, l'inexplicable. Et c'est à ce moment-là que j'ai compris que je ne souhaitais plus jamais sacrifier la moindre parcelle de ma vie à l'utile, au fonctionnel, au raisonnable et la bienséance. Alors pour endiguer la frayeur que me causait ce feuillet inutilisé, j'ai préféré m'offrir une belle rencontre sans avenir.

Vous.

Je ne sais rien de vous, ni vous de moi. Et c'est parfait comme ça. Si vous pouviez me répondre, si j'espérais retirer quelque chose de cette lettre, alors elle ne serait que manifeste, testament, épitaphe, manuel. Mais ainsi, elle prend tout son sens, puisque justement elle n'en a pas. Peut être même ne la lirez vous pas cette lettre, mais ne vous inquiétez pas, je ne vous en tiendrais pas rigueur. Je crois même finalement que ce serait préférable. Après tout, vous pourriez croire que je tente de vous convaincre d’adhérer à mes propos, ce qui serait, vous l'avouerez, parfaitement indécis de ma part.
Je ne peux m'empêcher par contre d'essayer de vous deviner. Vous êtes peut-être un de ceux qui s'agitent à tour de bras ou qui palpitent pour un rien. Vous êtes peut-être chagrin ou peut-être pas. Peut-être avez-vous du mal à respirer. Votre courrier est coincé entre une facture et une pub pour un shampoing. Votre travail est coincé entre deux étages, votre présent coincé entre votre passé et votre avenir, votre cul coincé entre deux chaises.
Vous vous escrimez peut-être à faire des gammes sur un piano depuis dix ans désaccordé ou à découper dans les magazines les coupons de réduction ? Vous montez 164 marches par jour et vous les comptez à chaque fois pour être sur qu'il n'en manque pas une ? Ou alors, vous n’êtes pas superstitieux, mais vous ne marchez jamais sur les lignes tracées sur le trottoir ? Vous ne trouvez jamais rien par terre alors que vous passez votre vie le nez baissé ? Vous vous demandez souvent comment vous pouvez connaître le sens du mot Filandreux alors que vous ne l'employez jamais ?
Mais qui ou quoi que vous soyez, je vous tiens à présent comme seul légitime représentant de l'humanité et à ce titre, je vous annonce ma démission.
J'en ai fini de la logique humaine. Je renonce à essayer de comprendre. Comprendre la météo marine, les fluctuations de la bourse, l’éclosion des rumeurs, la fascination pour des effets divers, comprendre pourquoi dans le tube, le dentifrice est blanc, alors que quand on presse dessus, il sort en trois couleurs. Je ne chercherais plus à savoir si oui ou non la lumière dans le réfrigérateur s'éteint quand je ferme la porte et si Dieu a la décence d'exister.
Je joins donc à cette lettre mon humanité. Je vous rends également mon dernier soupir ; je n'en est plus besoin, je compte vivre encore très longtemps.
Je me ferais Hippopotame paresseux le long du fleuve Limpopo, aux grasses eaux vert-de-gris. Je deviendrais ginkobiloba près du mont Fuji, baleine logeant au creux des abysses, oiseaux-mouches affrontant le sirocco, palourdes s'agrippant au grand corail.
J'irais me perdre jusque dans moi même, et qui sait ? Je finirais par trouver Walden.

Car c'est pour moi, le fou, le braque, le dément, que chaque jour, le soleil se lève, se lève, se lève,,,

Et en guise de signature, je vous salue et j'inachève.

P.-S. Si...