Je me permets de tutoyer, parce que
le voussoiement c’est pas ma tasse de thé, et pour être franchement honnête, le
thé non plus. Tu me pardonneras si je te parle franco, mais j’ai pas de porte
de derrière d’après Madrid (Madrid, c’est un copain du bistrot qui vient de
Montréal). T’auras noté que je t’es mis des majuscules partout dans le titre,
j’me suis dit que ça te ferait plaisir, je regarde pas à la dépense même si —
prends pas ça personnel — j’suis comme qui dirais plutôt contre le, la et les
capital — va donc savoir comment je terminaisonne un mot dans ce cas-là —. J’ai
préféré t’écrire plutôt que de te rendre visite parce que j’aime pas tellement
être interrompu quand je parle, en plus, vu ce que je vais te demander, tu vas
surement vouloir m’assommer un avis, et ça risque de me gêner au vu de
l’argumentaire qui suit succédament. En plus, quand j’ai le soliloquet qui me
prend, la bafouille c’est autrement plus efficace pour faire passer que de se
mettre un pousse-moulin derrière la cravate.
Ma femme, c’est à cause d’elle que
je te gribouille. Elle m’a dit qu’elle en avait sa claque que j’ai pas
d’ambition et que je soyes chtarbé. Et puis, elle m’a jeté dehors, ce qui est
un peu cave quand t’y penses parce qu’on peut pas dire que ça va m’aider
d’avoir une case en moins. Mais bon, puisque j’avais un grain, je me suis dit
qu’il fallait le semer. Le blème tu vois, c’est que je savais pas trop où.
J’ai demandé au Pape — pas le vrai,
t’es con, le Pape, c’est un copain de bistrot qu’a pris l’habitude, va savoir
pourquoi, de baptiser son calva – qui m’a donné quelques idées dans ma suite,
tu vois. Il m’a dit de m’essayer à la religion, comme quoi y aurait ces
derniers temps un regain d’intérêt, et que c’est un secteur qu’est pas en
crise. Perso, j’ai rien contre notre Dab, qui êtes aux cieux, mais j’ai, comme
qui dirait, l’orthodoxie qui a la sciatique.
L’artilleur — un autre copain qu’on appelle comme ça, vu les canons qu’il enchaine — il
m’a bien plu. Il m’a parlé de philo. Le problème de la philo, c’est pas
tellement pour les concepts, moi-même je fais dans l’épicurisme pratiquant;
mais à la louche, un philosophe, niveau honneur et tout le barda, c’est pas le
Pérou, faut attendre le passage de la faucheuse. Et ça va te sembler sans doute
naïf, mais moi, vivre, j’aime bien ça. C’est pas que je sois immunisé contre la
saudade et le blues, mais ça me ferait mal de pas savoir comment ça va finir.
Qu’est-ce que tu veux ? Je suis pas pressé d’aller crécher boulevard des
allongés.
Owen – c’est un autre copain de
bistrot, un black marrant qu’on appelle Owen Zescene, parce que c’est un négro
spirituel – m’a dit que puisque j’étais bourré de vie et que j’avais pas
d’ambition, il fallait juste que je change de cuite. Il voulait que je goute à
l’ivresse du pouvoir, et pourquoi pas devenir président. Mais d’abord, on en a
déjà un, et ça me la foutrait mal d’aller piquer le job d’un gars qui m’a rien
demandé, pas même ma voix, et pis en plus, je crois que dans ce taf, au pire,
donc au bas mal, tu subis pas mal la pression. Allez pas croire que je suis un
Lampe-à-mort, mais un boulot où ta pression, tu peux même pas la boire,
franchement…
Et pis j’ai entendu dans le dévidoir
à jactance que chez vous il y avait de la place. Cinq en plus. Alors,
franchement « immortel », c’est tout à fait ce qu’il me faut. Pour s’appeler
comme ça, faut vraiment rêver en couleur. C’est tout moi. Et ça conviendrait
tout à fait à la patronne. Fou et au sommet, moi, je veux bien. Donc, si ça
vous cause pas trop de tort, je veux bien devenir académicien. J’ai pas
vraiment une grande-gueule, je suis honnête au turbin, je maîtrise l’imparfait
du subjonctif perfecto ; je vous jure que je vous conte pas des craques, même
si pour le prouver, encore aurait ’il fallut que vous me vissiez sur mon
comptoir en train déclamer du Proust – je t’assure, qu’y en a qu’on chialé
comme des madeleines- et que vous entendissiez la prose que je jactais devant
la lourde de ma blonde.
En plus, vous avez une chouette mission de
conversation du patrimoine linguistoc. Avec moi je te rassure, t’es servi. Bon
je suis pas vraiment moine et pas franchement ému par l’amère patrie, mais
linguistique, j’assure, je parle au moins 4 langues : le patois, le charabia,
le louchebem et le javanais. Pis avec tous les copains du bistrot, avec un peu
de chance, on peut t’en faire du dictionnaire à la française de l’oncle
DOM-TOM. « Moun
sou pa ka jen tonbé si jandab » comme dit la 7e compagnie – un autre copain,
qu’on appelle comme ça vu qu’il est créole-.
Je crois, en plus, que vous auriez
tout intérêt à m’embaucher, parce que c’est pas pour dire, mais pour des gens
siphonnés du carafon, j’en ai connu des plus fendards. Je veux dire, j’ai
ligoté un pavé d’Ormesson, il y avait de quoi s’endormir. Nan, c’est vrai quoi,
la langue, que ça se préserve, que ça se listenigue, que ça s’empile dans les
dicos, qu’elle se fasse belle pour robert et sa rousse, j’y vois pas d’mal.
Mais quand t’as comme moi, la folle
du logis qui t’astique les mandibules, faut croire que les mots figés, c’est
pas mon turc. Oh ! Ce n’est pas que j’ai la cervelle en forme de sifflet, mais
je crois que je suis suffisamment loufoque, pour me libérer des carcans cons.
Mes mots à moi, je te les cueille sauvage, sur le bord de la route, en lousedé.
Je les chipe entre les pages des livres, que je dévore comme casse-dalle
quotidien. J’ingurgite tout et n’importe quoi, préface, post face, prétexte et
tout. Les Vlad et Mécum, le reader indigeste, l’almanach des verts mots. J’ai
la littérature internationale, J’ai rêvé auprès de la nana Karenine qu’aurait
mieux fait d’épouser son julot Pierre, j’ai parcouru l’Amérique avec Kerouac,
j’ai même fait la craie en bas de chez moi. J’ai compati avec La Bovary qui
dormait debout. Comme Don Quichotte, j’ai fait la manche, et je me suis vu en
haut de Notre-Dame pour écrire « Ananke ». Tu vois, Victor –ou Hugo, je me
rappelle jamais de son prénom- il avait tout compris. Lui, j’emporte ses poèmes
quand je vais aux waters-cosettes. Moi, j’ai vraiment pas la goutte à
l’imaginative.
Ma souris, elle les aime comme ça les mots, même pas
en bouquet, juste plein ma bouche. Je suis mordu moi, de ma môme, c’est pour ça
que tu m’arrangeras bien le coup si tu m’acceptais dans ton Aca et demi. Pour
te dire, Marguerite, la première fois qu’elle s’est effeuillée, ça s’est arrêté
sur « à la folie ». Et ça m’est jamais passé. Une gadji comme ça, j’aurais
voulu lui refiler des rivières de diam’s et des bagouzes à chaque doigt.
Sauf qu’elle en a marre de me voir trimarder, et
qu’j’ai que dalle de mornifle à lui ramener le soir. Pourtant, j’ai boulonné
sévère, façon syndrome de Sisyphe, j’ai pas épargné ma peine. Mais avec la
crise, tout ça, le boulot se fait rare. Alors, pour toucher un peu au grisbi,
je me suis dit qu’à la Cadémie des fraises, dois-y avoir un sacré pactole, vu
comme vous êtes fringué. Pas du tout as de pique, si tu veux mon avis.
Peut-être t’aimerais en savoir un peu plus sur mon
curriculum Vittel. J’ai beaucoup travaillé dans le zinc – la ferraille,
s’entends hein ! — à la suite de quoi, j’ai un peu fait la commode pour des
zigues à moi, mais ça a pas duré. J’ai répugné à rentrer dans la Grive, parce
ce que tiens pas vraiment à refroidir des mecs à la lampe à souder, ou à me
faire dézinguer. Comme j’ai dit au-dessus, je tiens pas encore à finir dans une
boite à violons. Je connais quelques keums, qui font dans la cambriole, mais monte
en l’air, ça m’attire pas. Tant qu'à faire de délourder les gens, je préfère
faire ça honnête, tu vois.. Donc depuis, je fais la java en attendant de
retourner au chagrin.
J’aimerais savoir aussi si chez
vous, on peut tirer sur le mégot. Faut dire que le gris, c’est un peu mon vice.
Rassure toi, j’ai pas de versa. Je sais que j’ai pas vraiment la cervelle bien
rejetée en arrière, mais je suis pas le mauvais bougre, et je mets du cœur à
l’ouvrage. Surtout en tant que bouquineur.
Je pense que je t’ai tout dit, si
t’as des questions, tu peux me joindre entre douze et quatorze au café de
l’hôtel de ville.
Par cette
présente qui te souligne mon absence, tu peux prendre acte de ma candide
rature.
Mais tarde pas
à répondre, j’ai aussi demandé à tes collègues de chez… et honnêtement, j’irai
chez le premier qui me dira oui, rapport à ma femme, que j’aimerais bien aller
retrouver.
Viens donc
prendre à l’occase, une eau de savon ou un tango, c’est moi qui paye la
douloureuse.
Didier dit Sourire-de-la-veuve (parce qu’il paraît que j’ai la langue bien pendue)
Pause Scrotum :
Et si jamais, dans votre prochaine réunion là, vous pourriez peut être évoquer
la préservation du point-virgule, pas vraiment que moi je m’en serve beaucoup,
mais j’ai l’impression qu’il est en voie de disparition, cette espèce-là.
Faudrait voir à s’en occuper. Enfin,
j’dis ça, j’dis rien…