Mon pote Gaby, il dit des fois
« La vie est un long fleuve tranquille, mais encore faut-il savoir
nager ». Longtemps j'ai eu un peu du mal avec cette image, je veux
dire, l'eau comme concept ça ne me parlait pas trop. Et Ben depuis
que Gaby m'a apprit à nager dans le flot de ces paroles, je
n’échangerais ça pour rien au monde. Comme il dit souvent :«
Quantité de personnes ont une âme qui adore nager. Dommage, on les
appelle vulgairement des paresseux ».
Enfin, moi je ne me baignerais pas dans
n'importe quels discours quand même. Y a des risques. J'ai connu un
homme politique, il s'est retrouvé enfermé dans une parenthèse
qu'il avait ouverte et qu’il avait oublié de refermer. Et au
bistrot, l'autre jour, il y a un militaire qui s'est noyé dans un
Verdun. Alors je me méfie toujours un peu. Y n’a pas de paroles
sans risque. Comme dit Gaby : « les mots en l'air finissent toujours
par retomber ». Je ne goute pas de tous les mots. Il y a des mots
salés sucrés, aigres ou amers. Des mots doux, des mots durs. Des
mots crus ou cuits. Les mots on les mâche, les avale, les crache ou
les digère.
Mais les paroles de Gaby, je les bois
littéralement. J'aime nos conversations, qui poussent doucement à
la rêverie, sans y chercher trop de cohérence. Car comme il dit
toujours. « Aimer c'est un verbe irréfléchi ». Et quand la soirée
s'achève, la tête un peu lourde du vin, de la bière et des phrases
échangées, on fume une dernière sèche devant le bistrot. Quand on
a terminé, le patron vient jeter un dernier coup devant, pour
nettoyer. Gaby m'arrache toujours un dernier sourire en constatant
gravement : « Seau d'eau, mégot mort ».
Il est comme ça Gaby, il aime jouer avec
les mots. Pour être honnête, ça m’amuse aussi beaucoup. Parfois,
on fait des calembours tellement navrants que les gens lèvent les
yeux au ciel. Mais comme il leur dit si bien « Inutile de regarder
en l’air, y a pas un bistro dans cette direction. »
Faut dire que c’est un plaisir, trousser
la langue, qu’elle rougisse et se verdisse, qu’on s’amuse à
empiler des syllabes et faire tenir ce fragile équilibre au moment
d’une pirouette verbale périlleuse, jouer avec les mots et répéter
chaque jour : « je ne serais plus jamais aussi jeune qu’aujourd’hui.
»
Mêler cette langue avec d’autres par gout
du jeu, la rendre interlope. L’autre jour au bistrot y a un tchèque
sans provision qui a débarqué. Alors Gaby lui a payé un coup.
L’autre voulait le rembourser, mais bon comme dit Gaby « A Vienne
que pourras ».
Du coup à force de nager, de gouter et
d’entendre tous ces jeux de mots laids, j’ai eu envie d’écrire
moi aussi. Même si en ce moment, j’ai la muse paresseuse.
Pourtant, j’ai joué de l’encrier sur ma page écrue, j’ai
écrit et j’ai crié pour qu’elle revienne, mais elle fait la
sourde oreille, je crois.
Ce n’est pas grave, je continue quand
même.
Par désir de ma muse qui s’amuse de mes
discours maladroits, de mes dithyrambes infâmes, de ma logorrhée
insoutenable. J’écris pour elle, car me prenant pour Dieu, à
chaque jour recommencé, j’écris le monde à son image.
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