mercredi 9 septembre 2015

Cent mètres à deux mains

Cent mètres à deux mains
ce qu'on peut faire à une seule.



Dans un bureau. Deux hommes s'ennuient fermement.
Entre leurs deux bureaux, une pile de documents d'environ trois mètres de haut s'entasse. Un conduit dissimulé plus haut crache de temps à autres une nouvelle feuille qui va se poser sur le tas déjà conséquent.


UN : Pfiou ! Encore un document à classer.
DEUX : Oui, ça n'arrête pas en ce moment.
UN : A se demander ce qu'il font là-haut.
DEUX : Si ça se trouve, ils nous balancent tous ces document sans même les lire.
UN : Ça, ça ne m'étonnerait pas d'eux.
DEUX : C'est pas pour être mauvaise langue, mais j'ai pas l'impression qu'ils font grand-chose à l'étage du dessus.
UN : Oui, ça me paraît évident. Il nous est impossible de classer tout ces documents au rythme où ils arrivent.
DEUX :  Ils doivent sans doute s'entrainer pour les jeux olympiques de la procrastination.
UN : Brusquement inquiet Vous croyez ?
DEUX : Bah oui sans doute. En tout cas, vu leur rythme de glande, je pense qu'il pourrait y prétendre.
UN : Ah merde !
DEUX : Mais pourquoi vous vous mettez dans un état pareil. Ce n'est pas si grave après tout.
UN : C'est à dire que... Moi aussi je m'entraine.
DEUX : Vous vous entrainez ?
UN : Oui.
DEUX : A quoi ?
UN : Mais à la procrastination, voyons. Moi aussi, je vais tenter les jeux mondiaux cette année. Et si ceux du dessus s'y mettent, ça va pas être gagné.
DEUX : Alors comme ça, vous procrastinez ? Je dois vous dire que je n'ai rien remarqué. Vous faites ça depuis longtemps ?
UN : Je dirais deux mois environ, à temps plein. Et depuis au moins un an, cinq ou six heures par jour.
DEUX : J'aurais vraiment jamais cru.
UN : C'est à dire que ma spécialité à moi, c'est la procrastination furtive. Procrastiner sans se faire remarquer. Le catimini, quoi.
DEUX : Et bien chapeau, mon cher. Je ne m'en étais pas du tout aperçu. Vous êtes très bon.

Trois nouveaux documents descendent par le conduit.

UN : Oui mais vraiment, je crois que je suis pas au niveau, par rapport à ceux du dessus.
DEUX : Allons mon cher, allons ne vous faites donc pas tant d'idées noires. Puis avec le boucan qu'ils font, je ne suis pas sûr que il réussissent l'épreuve de catimini.
UN : Oui vous avez sans doute raison. De toute façon cette année, la concurrence sera rude. Il faudra compter sur les Corses, les Espagnols, les Portugais.
DEUX : Les Portugais ?
UN : Oui, ils ont failli  remporter le championnat l'année dernière. Ils avaient réussi toutes les épreuve de retard en bâtiment. En tout cas, c'est ce que prétendaient les juges.
DEUX : Ah bon !
UN : Oui des entrepreneurs triés sur le volet qui jugeaient de l'avancement des travaux. Ils ont tranché en faveur des Portugais.
DEUX : Ah bon, il me semblait que les Russes pourtant avait l'air mieux qualifiés.
UN : C'est parce qu'ils sont toujours bourrés. Alors forcement, ça aide dans le fait de ne rien faire mais ça n'annihile pas complétement la volonté formelle de ne rien faire.
DEUX : Et les Japonais ?
UN : Ah eux, ils n'arrivent jamais à rien. Ils se sont complétement vautrés dans les épreuves de retard de courrier et de mail à envoyer de toute urgence. Ils ont fini dix minutes après le coup d'envoi. Alors que l'avant dernier a quand même fait l'effort de terminer en plus de six heures.
DEUX :  Et le premier ?
UN : Trois jours je crois.

Dix nouveaux dossiers tombent lourdement sur la pile.


DEUX : Vous croyez qu'ils s'entrainent pourquoi ? 
UN : Peut-être la recherche d'excuse pour devoir non rendu. En général c'est une épreuve qui fait du bruit.
DEUX :  Ah ?
UN : Oui comprenez, les participants sont tenu d'être le plus convaincant possible. Alors forcement, ça tempête, ça hurle, ça menace. Pour prendre l'ascendant sur le juge. Même si la méthode Bartleby fait beaucoup mieux ses preuves, ça reste une technique extrêmement difficile nécessitant un sang-froid et un moral à toute épreuve.
DEUX :   Et ça consiste en quoi ?
UN : Quand un examinateur lui demande de faire une tâche, il répond simplement « I would prefer not to ».
DEUX :   Élégant et efficace.
UN : Oui, c'est sûr. C'est un anglais qui a mis ça au point. Mais c'est difficile.

Cinquante nouveaux dossiers tombent.

DEUX :   Oulala.
UN : Oui, je vous plains.
DEUX :   Me plaindre ? mais pourquoi ?
UN : Tout ce travail à faire. Ça me fait mal rien que d'y penser.
DEUX :   Oh mais je vous arrête tout de suite. Je ne vais pas classer ces dossiers.
UN : Ah bon mais pourquoi ? Vous avez autre chose à faire ?
DEUX :  Ah mais non ! Je profite simplement des mes privilèges de champion du monde. Et j'attends que le travail se fasse tout seul.
UN : Vous, champion du monde ?
DEUX :   Oui, cinq fois d'affilé.
UN : Mais comment...
DEUX :   Oh c'est bien simple, le jour de la compétition, je ne me pointe même pas aux épreuves. Et je n'ai qu'à venir le lendemain pour récolter mon prix.
UN : Astucieux.
DEUX : Oui. J'ai simplement utilisé le principal atout de la France pour ce genre de compétitions.
UN : Et c'est ...
DEUX : La suffisance.

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