vendredi 6 février 2015

J'irai bouquiner chez vous - le Bescherelle...



 Bon autant vous prévenir tout de suite, je suis parti avec un a priori négatif sur ce bouquin. Déjà, rien que la couverture, rouge, sans aucune fioriture, sobrement sous-titré « La conjugaison pour tous » ne m'attirait pas spécialement. J'y présentais un genre de roman très didactique voir à moral, quelque chose d'un peu trop réaliste, et pas forcément ancré dans mes préoccupations et réflexions quotidiennes.
Mais devant l'insistance de mes proches pour que je daigne au moins le parcourir, et bien bon gré mal gré, je m'y suis mis. Et je dois avouer que, finalement, je ne l'ai pas regretté. Malgré une mise en page particulière - et il faut bien le dire un peu rebutante -, une fois habitué, après les quinze premières pages, on tombe sous le charme. J'ai donc envie de vous en parler, vu qu'il n'est que moins le quart et que j'ai encore du temps pour préparer ma poule-au-pot. Mais avant toute chose un mot sur l'auteur.


Louis-Nicolas Bescherelle, écrivain obscur du dix neuvième siècle, qui malgré son amour pour le mot juste et une maitrise du français assez irréprochable, n'a malheureusement jamais connu la gloire d'un Zola ou d'un Balzac alors que leur thème sont finalement proche. Il écrivait avec son frère Henri et a eu une bibliographie assez varié. Parmi leur plus grand succès, on peut noter le Dictionnaire universel de la langue française, véritable saga en 2 tomes, comptant près de 1343 pages au multiple rebondissement. On notera aussi le très extravagant  L'Instruction popularisée par l'illustration , qui fut un des - sinon Le avec majuscule et tout- ouvrages précurseurs de la bande dessiné didactique moderne. Ancien bibliothécaire du Louvre, il se fait remarquer en 1826 avec son ouvrage à suspense Le Participe passé ramené à sa véritable origine et soumis à un seul et unique principe, ou Application de l'analyse à cette importante partie du discours. Ouvrage dont Dan Brown dira « Sil n'en restait qu'un, moi je serait l'autre », à moins que ce ne soit pas de Dan Brown, mais de toute façon je doute que Bescherelle eut apprécié un compliment à la syntaxe hasardeuse. Mais  revenons donc à nos moutons grammaticaux. Cette année-là - comme aurait pu le chanter Claude François si il avait été présent  mais ce n'est pas le cas, je peut donc reprendre le fil de mon propos et conclure cette intervention qui n'a servi qu'à illustrer ma parfaite maîtrise de l'emploi des temps, bien que pour ma part, je me suis toujours refusé de salarier mon temps ce qui me conduit parfois comme vous pouvez le constater à de lamentables digressions- marquera surtout la mort du courant de la grammaire métaphysique dont Nicolas-Louis Bescherelle était très proche. Après un bref mais nécessaire passage par la case déchéance et alcoolisme, il retrouve son courage et les clés de son appartement qui était resté dans la poche de son autre pantalon, et signe un terrible pamphlet  violemment anticlérical en 1839 La Grammaire des épiciers, ou Recueil de toutes les fautes qu'on peut commettre spécialement en matière d'épicerie, sous le pseudonyme de  Sévérus Syntaxe. A noter d'ailleurs qu'il avait déjà utilisé ce nom de plume pour publier le très ironique La Grammaire de l'Académie ou Galerie critique de la plupart des barbarismes, solécismes, fautes d'orthographe, définitions fausses… dont fourmille la sixième et la dernière édition du Dictionnaire de l'Académie Française, ouvrage plein de drôlerie et de truculence qui nous apprends notamment qu'il vaut mieux prendre un nom de plume sur le papier qu'un kilo de plombs dans l'aile.
Il mourra des années plus tard, heureux et peinard vu qu'on avait pas encore inventé internet et qu'il ne pouvait pas passer son temps à corriger les fautes des internautes comme son digne successeur Bryan Henderson .


Mais parlons à présent du livre en lui même parce qu'il est déjà moins le quart et qu'il serait temps que je m'occupe de ma poule aux pot. Il – l'ouvrage hein, si j'avais voulu parler de ma poule au pot j'aurais usé du pronom elle, je suis pas ignare à ce point là - est composé essentiellement de trois partie sobrement intitulé : Premier groupe, deuxième groupe, troisième groupe.
Vous l'aurez compris, ce Bescherelle est -à l'instar des autres romans du XIXe de Balzac ou Zola- un roman social qui traite du groupe. Et même plus précisément, de la place de l'individu dans un groupe, des pressions exercées sur lui, et aussi des possibilités pour l'individu de contraindre le sus-dit groupe.
Comme je le disais plus haut, il est difficile de se faire au style et à la mise en page. La partie « premier groupe » est pourtant – et de loin- la plus simple mais même ainsi, les début sont laborieux. Nous suivons donc les aventures d'un narrateur – sobrement baptisé Je – en proie avec un interlocuteur « Tu » commentant en un long soliloque les actions d'un tierce personne « Il » ou d'une poule-au-pot « Elle ». Parfois, les intérêts de l'action se rejoigne entre le narrateur et son compagnons avec un « Nous » de circonstance. Parfois les intérêts de cet interlocuteur - qui se révélera être le traitre de l'histoire mais je n'en dis pas plus pour pas vous spoiler la lecture- rejoignent celle des tierces personnes par un « Vous » fort à propos, cependant que les tiers se rassemblent et ourdissent un complot par un « Ils/Elles » époustouflant.
Il faut saluer ici le tour de force que prends la narration quand, glissant subrepticement du « Je » au  « Nous », on se retrouve catapulté dans une intrigue à différents niveaux dans laquelle le flou volontaire semé par l'auteur plonge le lecteur dans un désarroi total. C'est donc au lecteur de comprendre, de supposer, de comparer, d'interpréter ce qui lui est donné. 
Mais la force de ce livre ne tient pas seulement dans sa construction mais aussi dans son style très particulier. Depuis Laclos jusqu'à Pennac, en passant par Duras et la Lorraine, la phrase nominal a souvent était porté aux nues. Mais comme les écoles de pensée et de style appellent des réactions et des révoltes envers l'etablishement alors en vigueur, il est normal que Bescherelle est eu envie de se défaire complétement de la phrase nominal pour ne créer qu'une phrase purement verbale. Comprenez : le style chez Bescherelle, c'est sujet-verbe-sans complément. De l'action pur. Aucun objet, ou qualificatif à se mettre sous la dent - enfin sous l'œil, ça tombe sous le sens - ce qui crée un décalage assez fascinant et un suspense assez insoutenable. Tenez, page 64 : « Je mange. tu manges. Il mange. Nous mangeons ». On est en droit de se poser la question : Que mangent t-ils ? Où mangent-ils ? Et avec qui mangent-ils? S'il mangent une ailes de la poule au pot, donc de « Elle » cela signifie t-il qu'il se mangent entre eux ? Le cannibalisme grammairien est-il condamné par l'Académie Française ? Cela signifie t-il aussi qu'il est moins le quart et que ma poule-au-pot est donc prête ? Comment savoir ? C'est au lecteur de venir débusquer le sens caché de ces propos dont l'auteur lui même ignore peut-être de le savoir. Et c'est pourquoi cette « conjugaison pour tous » a sans aucun doute une infinité de niveaux de lecture, peut-être même plus que le « cent milliard de poèmes » de Queneau qui n'en possédait après tout que cent milliard.
Enfin la plus grande réussite de ce livre - et sans doute la plus complexe à appréhender -, c'est l'utilisation systématique de flashback et de flashforward. Le texte glisse en permanence du présent au passé, du passé au futur, et du futur au conditionnel, rendant ainsi toute chronologie particulièrement complexe. Cet effet que certains pourrait qualifier d'erreur dans la concordance des temps n'est à mon avis, rien d'autre qu'une volonté méticuleuse de l'auteur de ne rien nous cacher des fait antérieur et surtout des conséquences de ces actes ici décrit. Tenez page 87, d'abord « Ils » conduisent mais juste après on se rends compte -ô stupeur, coup de maître s'il en est- que, et bien après avoir conduit, « Ils » conduiront. Oui je sais une telle audace scénaristique est assez improbable et follement novateur. Quand on pense qu'il a écrit ça au dix-neuvième siècle, on se dit que la littérature n'a rien produit de plus original depuis.

Tous ces éléments font du Bescherelle un roman chorale, picaresque, kafkaïen et sans doute même fuligineux si je savais ce que ça voulais dire.

Vous l'aurez compris, il est difficile de résumer avec pertinence une tel œuvre. Mais je veux bien essayer quand même, parce que c'est moins le quart tout pile, et que j'ai même pas peur de rien, et qu'après tout, il paraitrait que je suis là pour ça et que si j'aurais su, j'aurais venu quand même pour paraphraser le petit Gibus qui fut - j'en suis sûr - un fervent admirateur de Bescherelle.
La première partie donc s'ouvre sur une scène assez anecdotique et pourtant plein de sens. Le narrateur abaisse le locuteur qui lui donc s'abaisse de manière pronominal. C'est alors qu'Il abandonne – dès le début, c'est intriguant, un intriguant à ce point déroutant –. C'est alors que pendant que nous abcédions – comme on peut le constater certaines images sont violentes - vous barguignâtes âprement. Mais Ils baseneront, à moins qu'ils ne bezallassent, des fois qu'ils seraient suisse, sur un malentendu, ça peut se faire. 

Dans la deuxième partie, l'intrigue s'adoucit, s'assourdit, s'assombrit, s'alourdit, s'assouplit et s'avilit voir s'assagit donc je passe un peu plus vite parce que bon il est encore moins le quart et j'ai toujours pas fini ma poule au pot.
La troisième partie, est, à mon sens, la plus réussie. On y voit comment absoudre dans l'absolu et en particulier les verbes défectif comme absoudre,et à aucun moment personne ne bienvient,  n'apparoit, ni n'éclot. Et c'est très bien comme ça. On trésaille à l'idée qu'il put choir et gésir à coté d'elle. Car bien entendu, ils mourront tous à la fin, et non ne mourriront qui serait une faute de français ou bien un néologisme plutôt sympathique pour « mourir de rire » mais ceci est une autre histoire.

Bref, un livre passionnant que je recommande aux lecteurs confirmés comme débutants. Une fois la dernière page tourné, on comprends mieux l'engouement et la passion qu'ont certains de nos proches pour ce livre et pourquoi il est brandi par des milliers de bras où que je vienne divulguer mes écrits.
La semaine prochaine, j'essayerais de lire un roman de Robert Larousse intitulé Littré, mais là, il est moins l'quart, alors je vous laisse, j'ai un truc sur le feu.

Pour aller plus loin, vous avez ici ou
PS: L'auteur assure qu'aucun Bescherelle ne fut maltraité durant cette écriture ou alors c'était drôlement pas de ma faute.

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